Sécurité nationale : Les nombreuses idées fausses qui entourent l’objectif de « souveraineté numérique » – une tribune

Volonté de souveraineté numérique : Les membres du gouvernement fédéral autour du chancelier Friedrich Merz (M.) lors de la réunion du cabinet à la Villa Borsig fin septembre
Photo : Clemens Bilan / EPARendre l'administration de l'État indépendante des entreprises comme Microsoft est une question de sécurité nationale, affirme Dirk Schrödter (47 ans ; CDU), ministre de la Numérisation du Schleswig-Holstein. Il ajoute : « L'Europe, et le monde entier, observent le Schleswig-Holstein sur ce sujet. » Au Mecklembourg-Poméranie-Occidentale également, la transition de Microsoft vers d'autres systèmes d'exploitation et applications bureautiques est en cours, même si elle se fait avec un peu moins d'assurance et de détermination. Mais une chose est claire là aussi : la souveraineté numérique de l'Allemagne est défendue grâce aux logiciels libres.
Le débat autour de l'indépendance numérique est actuellement sans précédent par son ampleur et son importance. Compte tenu des tensions géopolitiques, c'est à la fois positif et essentiel ; c'est l'une des rares lueurs d'espoir dans cette période si particulière. La situation actuelle est loin d'être encourageante : selon les sources, nous avons un quota d'importation pouvant atteindre 80 % pour les services numériques au sein de l'UE. Ceci pose problème pour plusieurs raisons : compétitivité, capacités de transformation et sécurité.
En novembre, l'Allemagne et la France accueilleront un sommet numérique consacré à la souveraineté numérique de l'Europe. Outre les revendications fondamentales, les sujets habituels devraient être abordés : portefeuilles numériques d'identité, réduction des formalités administratives et environnements de travail basés sur les logiciels libres.
Le problème, c'est que plus le débat s'intensifie, plus les idées fausses qui l'entourent deviennent flagrantes. La souveraineté, notamment numérique, est souvent perçue comme un impératif moral plutôt que stratégique. On l'envisage davantage comme une forme d'autosuffisance que comme une capacité d'agir en toute connaissance de cause. Or, remplacer purement et simplement les produits existants par une multitude de développements locaux a peu de chances d'être une solution réaliste pour notre économie.
Au niveau concret des applications et des produits, la mentalité de développement issue de l'ingénierie industrielle reste prédominante ; le changement de paradigme logiciel tarde à s'opérer. Alors que les services numériques importés privilégient la facilité d'utilisation, notre propre développement se concentre exclusivement sur la fonctionnalité. Un cahier des charges rigoureux semble primer sur un produit attractif. Résultat : une complexité fastidieuse, mais au moins, nous sommes indépendants !
Ce qui manque fondamentalement aux efforts déployés en faveur de la souveraineté, c'est une raison d'être : pourquoi agissons-nous ainsi ? Certes, il s'agit de sécurité, et dans des domaines critiques, il existe des approches réglementaires à la fois pragmatiques et prometteuses : le secteur militaire, les infrastructures critiques, la DORA dans le secteur financier. Mais une souveraineté uniquement motivée par des préoccupations sécuritaires n'est qu'une réaction à la peur, sans véritable vision. Et un idéal de souveraineté qui vise à créer l'indépendance et la compétitivité, mais qui n'offre que des solutions nationales aux tendances mondiales, ne fait que créer de nouvelles dépendances. Prenons l'exemple des centres de données : qui, sinon les hyperscalers habituels, est censé utiliser les gigafactories européennes dédiées à l'IA ? La demande intérieure est quasi inexistante.
C'est un cercle vicieux : la technologie souveraine européenne et allemande est quasiment inexistante faute de demande, et donc d'afflux de capitaux. L'État, l'UE, peut certes changer la donne – par la réglementation, des incitations et en alignant sa politique sur l'évolution du marché. Mais cela exige une politique industrielle stratégique, qui elle-même requiert une vision fondamentalement différente du simple constat : « On continue comme ça, mais avec plus de numérique et sans Microsoft. »
Pour y parvenir, une chose est essentielle : embrasser un changement global. Or, dans un pays où, comme on l’a appris début octobre, le lobby de l’industrie des moteurs à combustion dicte des passages entiers du document de position du parti au pouvoir sur le maintien du statu quo, cette idée se heurte à de sérieuses difficultés. Et c’est là que s’arrête la notion de souveraineté. Car quiconque s’appuie sur les idées d’une ère industrielle déclinante et sur les forces d’inertie du passé – même en étant internationalement autosuffisant et véritablement ouvert – répétera les mêmes erreurs. Certes, c’est une façon de donner l’exemple au monde. Un mauvais exemple, en réalité.
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