Jean-Pierre Darroussin : « Le cinéma a pour fonction d’exercer une sorte de catharsis sur le spectateur. »

Avec la sortie imminente en Espagne du film « Juliette au printemps », l'acteur Jean-Pierre Darroussin arrive à Madrid pour parler de la vie, de la famille, des difficultés et de l'importance d'aborder des sujets sensibles.
-Comment définiriez-vous « Juliette au printemps » ?
C'est un film très chaleureux ; il raconte des histoires qui touchent toutes les familles. Il tente d'explorer les relations psychologiques entre frères et sœurs, pères, mères, divorces, séparations… On a affaire à une famille, comment dire ? Un peu folle. Ce sont des artistes. Le protagoniste est dessinateur, puisque l'histoire est tirée de la bande dessinée du même nom, et la mère veut devenir peintre. Tout le monde se moque d'elle, mais elle déborde d'envie, de vie… Le tout dans un environnement assez précaire, car ils ne sont pas aisés financièrement, ils vivent dans des conditions assez modestes. Je suis un père et un grand-père qui vit de sa retraite, mais c'est aussi un peu un pilier de l'amour, celui sur qui on peut toujours compter. Il se soucie moins de lui-même que des autres.
-Peut-on dire que le film parle de la vie, sans fioritures ?
Oui, il explore l'environnement dans lequel une jeune fille a grandi et remet tout en question. Elle retourne auprès de sa famille, chez elle, et découvre un secret qui, par douleur et honte, est lié à une époque où les familles ne se parlaient pas. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire. La psychanalyse existe, et l'idée qu'il faut exprimer les choses plutôt que de les laisser se déposer, se sédimenter, est plus répandue. Cela crée des couches et des traumatismes de plus en plus indéniables pour les enfants et les petits-enfants. Ces problèmes se sont transmis de génération en génération, il est donc bon d'en parler et de découvrir les clés qui peuvent ouvrir des portes, et lorsqu'elles s'ouvrent, la lumière entre.
-Vous incarnez un père qui n'arrive pas à exprimer tout ce qu'il ressent...
Il plaisante. C'est l'expression de ses sentiments profonds, car il a tellement de choses à gérer, et il a décidé d'être plus léger. Au lieu d'embêter les gens avec ses propres drames, il se préoccupe bien plus des autres que de lui-même. Il essaie de se détendre pour ne pas accabler les autres de ses fardeaux et de ses problèmes. Il a cette philosophie de l'évitement, de la distanciation, qui, au final, est une dynamique qui permet aux autres de se développer et d'évoluer. Il a décidé de ne pas prendre trop de temps, de ne pas se mettre au centre.
-Vous avez des enfants, comment avez-vous amené vos sentiments de père dans ce film ?
« Je pense que je suis un père comme celui du film. La différence, c'est que les gens me reconnaissent dans la rue, donc c'est plus difficile pour moi, disons, de disparaître. Parfois, je trouve que c'est un peu compliqué pour mes enfants, mais ils savent qu'ils peuvent compter sur moi. »

-Pensez-vous que c'est une histoire universelle ?
Oui, car cela aurait pu être écrit par Tchekhov ; il a parlé de toutes ces nuances, de ce qui n'est pas dit. Dans sa littérature, de nombreux personnages s'expriment par le biais de blagues. Je pense qu'il y a un parallèle entre le fait de toujours faire rire et pleurer les gens et ce débat qui naît de leurs émotions. D'ailleurs, de nombreux auteurs sont capables d'écrire sur les bouleversements de l'âme humaine, comme Woody Allen ou Ingmar Bergman. C'est un film léger, mais d'une grande tendresse.
-C'est un film vraiment poétique...
- C'est vrai, par exemple, qu'il y a des moments qui détournent l'attention, comme un chat qui tombe d'un toit, mais ils permettent des connexions originales entre les événements et les personnes. Et la poésie est là, dans ce regard qui permet des associations, des connexions originales.
-La vie peut-elle être chaotique et quotidienne à la fois ?
- Eh bien, cela dépend de chacun. Certaines personnes organisent leur vie de manière à ce que la routine quotidienne soit suffisamment programmée et rigide, et trouvent un rythme normal pour éviter le chaos. Mais le chaos s'invite toujours ; il s'invite au moment le plus inattendu. Et c'est ce qui est poétique et intéressant dans la vie : l'alternance entre le chaos, le rituel et le quotidien.

-Pensez-vous que ce film peut être qualifié d’inclusion forcée ?
Quoi qu'il en soit, c'est courageux et audacieux pour un cinéaste, pour un auteur, de proposer au spectateur un film sur la dépression. Il faut se plier à de nombreuses contorsions pour trouver cette agréable légèreté sur un sujet grave, car c'est une maladie. On parle de plus en plus de problèmes à résoudre. On commence à comprendre qu'on peut progresser en comprenant ces problèmes, en appelant les choses par leur nom. Je ne pense pas qu'un film puisse être une séance de psychanalyse, mais le cinéma, comme le théâtre, a toujours cette fonction d'exercer une sorte de catharsis sur le spectateur et de lui révéler des choses sur lui-même.
-En parlant de courage, Blondine Lenoir, la réalisatrice, est une femme qui aime travailler sur ce type de dilemmes et de problèmes.
Oui, elle a réalisé « 50 Printemps », un film sur la perspective historique de la lutte pour la contraception et l'avortement à travers le mouvement Long Black. C'est une cinéaste féministe très affirmée et très courageuse… Pour elle, il est essentiel de parler de l'émancipation, de la libération, du respect et de la compréhension des motivations et des difficultés profondes des femmes au sein d'une famille normale, où le rôle des femmes est parfois sous-estimé. « Juliette au Printemps » est une histoire de famille où le père est peu loquace ; ce n'est pas lui qui détient le pouvoir de parole et qui dirige la famille. Mais c'est précisément à travers cette nouvelle responsabilité envers les femmes, cette prise de pouvoir, que cela implique une certaine responsabilité et engendre d'autres perceptions du monde. Il me semble que les femmes sont plus courageuses que les hommes en ce sens ; c'est précisément cela, le courage : affronter ces problèmes, en parler, les projeter sur un écran et inviter les gens à y réfléchir.
-Pourquoi devriez-vous voir ce film ?
J'aime beaucoup regarder des films qui racontent en profondeur comment les autres vivent, où ils sont, ce qui leur arrive, comment les choses se passent… C'est ce genre de cinéma qui m'attire. De plus, c'est un film qui nous donne une idée de la vie en province, en France, et ce n'est pas un film parisien. Donc, pour une fois, vous n'allez pas voir un film parisien.
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