Guerre en Ukraine : l’écrivaine Victoria Amelina rendue à la vie par son journal
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Le 23 juin 2023, l’écrivaine ukrainienne Victoria Amelina avait fait parvenir à une amie le fichier du livre auquel elle travaillait. « Qui sait quel missile pourrait me frapper à Kherson, tu peux garder ce document juste au cas où ? » lui avait-elle demandé. Elle s’apprêtait à aller recueillir le témoignage de la veuve du chef d’orchestre Iouriï Kerpatenko, tué par les forces russes à 500 km au sud de Kiev.
Sa précaution se révélera tragiquement opportune : le 1er juillet, Victoria Amelina succombait à ses blessures après le bombardement d’un restaurant où elle partageait une pizza avec des auteurs colombiens. Non pas dans la ville de Kherson comme elle l’avait imaginé, mais dans celle de Kramatorsk, dans l’Est de l’Ukraine, où elle avait rejoint ses confrères venus d’Amérique du Sud. Elle avait 37 ans, un fils de onze ans et l’ambition d’écrire « un livre de reportages sur les personnes qui documentent la guerre ».
Un journal de guerre en anglaisMoins de deux ans plus tard, son vœu se réalise. En France, mais aussi au Royaume-Uni et aux États-Unis paraît ce mois-ci l’ouvrage qui l’occupait lors de sa disparition : Regarder les femmes regarder la guerre (1), près de 400 pages rédigées en anglais comme pour leur faire enjamber les frontières.
On y rencontre Ievheniia Zakrevska, avocate renommée qui a passé le treillis pour s’engager sur le front. Iryna Dovhan, esthéticienne torturée cinq jours durant par les forces pro-russes avant d’être exhibée en trophée puis libérée grâce à une photo publiée dans le New York Times qui a ému le monde entier. Ou encore Casanova, enquêtrice sur les crimes de guerre pour une ONG, qui se cache sous ce pseudonyme comme pour faire vivre cette « vision idyllique ukrainienne d’une maison au milieu des cerisiers, la casa nova », où elle avait prévu de s’installer avant la guerre. Autant de femmes devenues patriotes à l’épreuve de l’invasion de Moscou que Victoria Amelina avait interrogées au cours de ses investigations sur les crimes russes.
Un hommage posthumeÀ l’image de ses « héroïnes », la guerre aura transformé l’étoile montante des lettres ukrainiennes. Quand elle éclate, l’écrivaine a déjà signé plusieurs romans, un livre pour enfants, créé un festival littéraire et reçu plusieurs prix. Mais mue par une soif de justice, elle lâche sa plume de romancière dès le 24 février 2022 pour collecter des preuves et des témoignages sur les atrocités commises en Ukraine. Son espoir : voir un jour leurs auteurs comparaître devant un tribunal international.
Inachevé mais déjà riche, son travail se trouve consigné dans ce journal de guerre que des proches, réunis dans un « comité éditorial », ont eu à cœur de publier pour la faire revivre. Comme elle l’avait elle-même fait en 2023 avec l’écrivain Volodymyr Vakoulenko. Avant d’être capturé puis tué par balles par les forces russes, celui-ci avait caché sa chronique du conflit sous un cerisier, dans son jardin. Quelques mois plus tard, en compagnie du père du défunt, Victoria Amelina l’avait déterré avant de le remettre à la bibliothèque locale et de le faire publier. Un hommage posthume qui, deux ans plus tard, lui serait également réservé.
(1) Traduit de l’anglais par Leslie Talaga, Flammarion, 384 p., 22 €
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