Pendant ce temps, à Cannes… Pierre Richard ou le « grand blond » sur le tapis rouge, le retour des frères Dardenne et un clap de fin

L’acteur et réalisateur Pierre Richard, célébré à Cannes, jeudi 22 mai BERTRAND GUAY / AFP
Récap CANNES, DIXIÈME JOUR. À 90 ans, l’éternel « grand blond » a été célébré pour l’ensemble de sa carrière et a présenté son dernier film en tant que réalisateur ! Autre salle, autre ambiance, les frères Dardenne entrent en piste au dernier de la compétition.
Comme le chantaient les Nèg’Marrons, « c’est fou ce que le temps passe vite ». Nous voici déjà au dernier jour de compétition, mais les festivaliers aguerris le savent : chaque jour compte et le jury de Juliette Binoche aura encore 24 heures pour peaufiner le palmarès qui sera révélé samedi soir. Au programme ce vendredi 23 mai : un duo habitué du festival, les Frères Dardenne, déjà récompensés deux fois par la palme qui reviennent cette année avec « Jeunes mères ». Et retour du comédien Josh O’Connor qui, après « The History of sound », remonte les marches pour « The Mastermind », de la réalisatrice américaine Kelly Reichardt. La liste des 22 longs-métrages sera alors bouclée… et l’attente du verdict final commencera.
Pierre Richard : l’hommage des pairs à « un impair »On peut l’affirmer sans froisser personne : la comédie n’est pas le point fort du Festival de Cannes. Alors quand il célèbre l’un des plus grands acteurs comiques français, on peut parler de petit événement. Pierre Richard, car c’est de lui qu’il s’agit, a rendu jeudi hommage à l’acteur et réalisateur de 90 ans. Son dernier film, « L’homme qui a vu l’ours qui a vu l’homme », le premier qu’il réalise depuis près de 30 ans, a été projeté en séance spéciale, avant de sortir en salles le 24 septembre. Tourné en Occitanie, il raconte l’amitié entre un vieux pêcheur ayant fui son milieu - joué par Pierre Richard lui-même - et un jeune garçon autiste, qui partagent le même amour de la nature.
A 90 ans, dont plus de 60 ans de carrière, l’acteur, qui restera à jamais le « Grand blond avec une chaussure noire » (1972), a fait rire de sa gaucherie dans plus de 100 longs métrages, traversant comme peu d’acteurs l’histoire de la comédie française. À l’occasion de la sortie de ses mémoires, il avait accordé un long entretien au « Nouvel Obs » dans lequel il confiait toute la difficulté de faire rire ».
Inoubliable avec son grand sourire et sa tignasse frisée dans les succès de Francis Veber (« La Chèvre », « Le Jouet »…), il a encore prêté ces dernières années son capital sympathie à Pierrot, l’un des incorrigibles vieillards des « Vieux Fourneaux » (2018), ou au druide Panoramix dans « Astérix et Obélix : l’Empire du milieu » (2023).
Cet acteur au jeu burlesque, volontiers lunaire, a reçu en 2006 un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Lors de la remise du prix, la musique du « Grand blond » accompagnant son entrée sur scène, il a écouté la longue ovation de ses pairs avant de lâcher : « moi qui n’ai jamais été qu’un impair… »
Les frères Dardenne tentent la passe de troisC’est un film à part dont les frères Dardenne ont accouché, plus lumineux et pluriel que leurs précédents, délesté pour une fois de ces échéances terribles qui transforment chacune de leur chronique sociale en compte à rebours diabolique. Destins mêlés de cinq gamines catapultées prématurément dans les affres de la maternité, « Jeunes Mères » raconte le poids du sacerdoce parental, son mystère presque animal, et son rab d’angoisses et d’émotions quand il se couple à la misère sociale, ce terreau auquel ces super-auteurs cannois – onzième sélection d’affilée et deux palmes d’or – demeurent néanmoins fidèles. Luc et Jean-Pierre Dardenne nous parle de cette révolution qu’est le film « Jeunes mères » dans leur filmographie, du casting. Un entretien à deux voix à découvrir avec ce duo de cinéastes double palmés.
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Trois ans après « Leïla et ses frères », le réalisateur iranien Saeed Roustaee revient en compétition avec « Woman and child », un film au tournage autorisé par les autorités. Condamné à cinq ans de prison en 2022 après son passage à Cannes, il explique aujourd’hui : « Le pire pour moi est de ne pas faire de films ». Plusieurs de ses compatriotes en exil lui reprochent en effet, avec cette œuvre respectant les strictes lois de la République islamique - notamment concernant le port du voile -, de s’être compromis. Saeed Roustaee a en effet fait un choix radicalement différent de celui de son compatriote Jafar Panahi, son concurrent en compétition, qui lui a choisi la clandestinité. « C’est très important pour moi que mes films soient vus par les gens de mon pays » car « je pense que le cinéma iranien est un peu confisqué par des comédies vulgaires », ajoute le cinéaste qui, dans ce drame familial présenté en compétition, suit le destin de Mahnaz, une mère de famille de 40 ans sur le point de refaire sa vie.
Il dit avoir été obligé de demander des autorisations pour tourner, qu’il a mis « plus de six mois » à obtenir, à la faveur notamment d’un changement de gouvernement.
« Si vous faites ce genre de film, avec des scènes dans un hôpital, dans de grandes institutions comme une école, comment faire sans les autorisations, avec du matériel conséquent, beaucoup de figurants ? Au premier jour, deuxième jour, nos tournages auraient été arrêtés », explique le réalisateur. « Je pense que mon utilité, c’est de dépeindre ces histoires-là à l’intérieur de l’Iran et de pouvoir les montrer dans les salles de cinéma », poursuit-il.
« Romeria », « Valeur sentimentale » : familles, je vous haimeLe dialogue intergénérationnel, l’héritage familial et la transmission du spleen resteront comme les grands thèmes de ce cru cannois. En cette fin de quinzaine, et après « Sound of Falling », « l’Agent secret » et « The History of Sound », deux films très différents en font leur miel, l’un d’une réalisatrice catalane, l’autre d’un réalisateur norvégien.
Dans « Romeria » de Carla Simon, novice de la compétition, une jeune femme adoptée (poupine Llucia Garcia) débarque à Vigo, ville portuaire de Galice réputée pour ses ruines, en quête de ses origines et de documents administratifs indispensables à la poursuite de ses études. Armée du journal intime de sa mère, elle rencontre les proches de son père et reconstitue par bribes, ici à l’aide de témoignages, là grâce à des photos, objets et autres traces matérielles, la vie et la mort précoce de ses parents, jeunes gens modernes des années Movida, épris de bohème et fauchés par leur soif de liberté. Romeria, c’est, en fait, la réalisatrice Carla Simon qui retrace le périple qu’elle effectua en 2004, à 18 ans. D’où la vibration intime, la sensualité très personnelle que dégage son film, sa manière organique et délicate d’évoquer, en creux, les non-dits et le déni persistants des Espagnols sur les ravages de la drogue et du Sida, contrecoup libertaire à des décennies de franquisme. Un sujet fort que Simon aborde par touches délicates, au plus près des corps et des éléments, chaque scène s’apparentant aux émanations d’un journal intime dont les subtilités, avouons-le, s’accordent mal avec la fatigue de fin de festival. Des sept films de réalisatrices en compétition (un record), « Romeria » nous apparaît comme le plus discret et, sans doute, le plus beau.
Défricher et comprendre le passé pour mieux envisager l’avenir, c’est aussi le moteur de « Valeur sentimentale », come-back du norvégien Joachim Trier et de son actrice Renate Reinsve en compétition quatre ans après « Julie en 12 chapitres » qui valut à cette dernière le Prix d’Interprétation féminine. Retour d’un cinéaste célèbre (Stellan Skarsgaard) aux affaires et dans la vie de ses deux filles, dont l’une, comédienne (Renate Reinsve), refuse de jouer dans son prochain film et se voit remplacée par une ambitieuse starlette hollywoodienne (Elle Fanning), cette dramédie s’annonce dans le prolongement de « Julie en 12 chapitres », alerte et joueur, avant de révéler sa profonde mélancolie sous haute influence bergmano-tchekhovo-woodyallenienne.
Bourgeoise demeure familiale où la mère, décédée, a élevé ses deux filles et donnait des séances de psychanalyse que les gamines espionnaient (coucou Woody Allen) ; rancœur de deux sœurs (Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas) pour leur père boomer qui ressurgit et s’inspire de leurs relations compliquées dans sa nouvelle œuvre (hello Bergman) ; portraits d’artistes en miroir dont une joue « la Mouette » (bonjour Tchekhov) : « Valeur sentimentale » (sortie annoncée le 20 août), s’il s’inscrit dans l’époque (excellent gag des DVD offerts au gamin de 10 ans : « Haneke a tout compris aux femmes »…) et n’est pas avare en piques bien envoyées en direction de Netflix et des coulisses du showbizz, surfe moins sur l’air du temps que « Julie… » et navigue en terres trop identifiées, écrasantes, pour ne pas souffrir de la comparaison. Qu’importe : Trier a l’intelligence de faire profil bas, d’opter pour une écriture soignée mais une forme déliée, et de s’en remettre à ses personnages et à leurs interprètes, tous excellents, tandis que son film gagne en vérité et en émotions à mesure que les deux sœurs en deviennent le c(h)œur. Il célèbre, en outre, le pouvoir cathartique, sinon réconciliateur, du cinéma, autre leitmotiv de la sélection.
« The History of sound » : l’amour du brutDrôle de convergence de fluides cannois proposée par « History of sound ». Le film s’articule autour de la passion secrète de deux universitaires des années 1920 arpentant la campagne profonde du Maine. Leur petit rituel sacerdotal vintage d’archéologues musicaux (archiver les chansons populaires des villages environnants au moyen de cylindres de cire) donne un film hanté par le spectre des reconstitutions léchées de James Ivory, ancien fidèle de la Croisette, dépositaire d’un modèle de production largement obsolète (le mélo corseté d’époque, à messages) que le réalisateur Oliver Hermanus ravive en continuateur méticuleux – on voit souvent les personnages lustrer des objets qui ont pris la poussière, un bon résumé du projet du film.
En fait, l’unique mise à jour de ce logiciel tient surtout dans le choix de sa distribution : têtes d’affiche sémillantes, les néo stars du moment Josh O’Connor (vue en Prince Charles dans « The Crown ») et Paul Mescal (« Gladiator 2 »), réincarnent les éphèbes bien peignés d’Ivory au plus fort de « Maurice » ou de « Chambre avec vue » (Hugh Grant, James Wilby, Julian Sands). Les deux s’en tirent avec les honneurs : présence inquiète, toute fragilité dehors pour l’un (O’Connor), coolitude et classe marmoréenne pour l’autre (Mescal).
Il serait tentant de circonscrire « The history of sound » dans cet horizon claquemuré, bien que le film réussit régulièrement à s’en extraire, affecté par un fond de rugosité, d’attirance primitive pour la chose rurale, la vie au grand air, les mélodies simples de l’Americana. La forêt du Maine, ses chemins boueux, ses ciels lourds et gris forment un modeste Eden vers lequel les personnages reviennent toujours, au nom de leur amour secret bien sûr (c’est dans l’intimité des coins perdus que leur homosexualité peut vivre et s’exprimer), mais aussi d’un attachement ancestral à la terre, aux vertus des coutumes taiseuses du monde paysan. Franchement, on n’imaginait pas de cette chose toilettée un tel amour du brut.
La cannerie de Sayyid El Alami (avec un joli bobard)Choisi par Unifrance parmi ses 10 to Watch (10 révélations à suivre) de l’année, l’acteur Sayyid El Alami (« La Pampa », « Leurs enfants après eux ») raconte comment il s’est fait passer, le temps d’une soirée festive, pour le « neveu américain par alliance » du directeur du Festival de Cannes, Thierry Frémaux.
Par Guillaume Loison, Nicolas Schaller et François Sionneau
Le Nouvel Observateur