«Adopter l’euro reviendrait à embarquer sur le Titanic» : les Bulgares ne veulent pas rejoindre la zone euro
En Bulgarie, la fronde monte contre l’entrée imminente du pays des Balkans dans la zone euro.
Manifestations, appel au référendum et désinformation : la colère gronde en Bulgarie, où la perspective de rejoindre la zone euro au 1er janvier 2026 ne fait pas l'unanimité. Après un retard lié à son instabilité politique, le pays des Balkans membre de l'UE depuis 2007 devrait prochainement devenir le 21e État à adopter la monnaie unique, trois ans après la Croatie. Le feu vert de Bruxelles est attendu courant juin.
«Adopter l'euro reviendrait à embarquer sur le Titanic», assure Nikolai Ivanov, haut fonctionnaire à la retraite, venu «soutenir le lev (la monnaie bulgare utilisée depuis 1881, NDLR)» lors d'un récent événement de promotion de la devise nationale à Sofia. Selon des sondages récents, près de la moitié des personnes interrogées se disent opposées à l'entrée du pays dans la zone euro dès l'an prochain.
Pour Boriana Dimitrova, directrice de l'institut Alpha Research, ce désamour de la monnaie unique s'explique avant tout par «la méfiance envers les institutions», provoquée par le chaos politique de ces dernières années. Les habitants redoutent les conséquences sur leur quotidien de ce changement historique. «Les pauvres ont peur de devenir encore plus pauvres», résume-t-elle, dans ce pays de 6,4 millions d'habitants, le moins riche du bloc.
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Les réticences sont particulièrement fortes dans les zones rurales, où certains Bulgares n'ont jamais voyagé à l'étranger et n'ont pas l'habitude des transactions internationales. D'autant que perdure le souvenir de la grave crise économique de 1996-97, accompagnée de la faillite de 14 banques et d'une hyperinflation dépassant 300%. Nombreux sont les élus à exploiter ces craintes, estime l'experte, à l'image du parti d'extrême droite Vazrajdane, qui a convoqué un nouveau rassemblement samedi dans la capitale.
Le président Roumen Radev a surpris début mai en réclamant l'organisation d'un référendum sur le sujet. Et il a renchéri cette semaine en accusant le gouvernement de ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires pour permettre aux «plus vulnérables» de supporter un éventuel choc des prix. Un tiers des Bulgares vivaient l'an dernier sous la menace de la pauvreté ou de l'exclusion sociale, d'après les statistiques d'Eurostat.
Le chef d'État «fédère les peurs et s'adresse aux désabusés, aux oubliés. C'est un geste politique bien calculé», commente Boriana Dimitrova. Cette proposition jugée «inconstitutionnelle» a soulevé un tollé du côté des juristes et la présidente de l'Assemblée Natalia Kisselova a refusé de la soumettre au vote. Mais elle a suffi à raviver la propagande anti-UE.
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Parmi les infox les plus répandues sur les réseaux sociaux, on apprend que «Bruxelles va confisquer vos économies pour financer l'Ukraine». Ou encore que le lev serait la monnaie la plus ancienne d'Europe et qu'il faut donc à tout prix sauver «le lion bulgare», signification du mot «lev». Même des humoristes relaient ces fausses informations à travers des clips vidéo cumulant des millions de vues sur Facebook et TikTok.
En face, les voix pro-européennes ont bien du mal à se faire entendre. Pour ces défenseurs d'un passage à l'euro, ce serait un pas important vers l'ancrage géopolitique occidental et une protection contre l'influence du Kremlin. «À Sofia et dans les grandes villes, la population - plus riche, plus instruite et plus jeune - y voit une étape logique dans le processus d'intégration européenne, après l'adhésion à l'UE et à l'espace Schengen» début 2025, souligne Boriana Dimitrova.
Les institutions et les banques sont prêtes, et le design des pièces a même été choisi, avec pour celles de deux euros l'inscription : «Dieu, protège la Bulgarie». Mais signe du manque d'information et du sentiment d'infériorité encore très répandu dans ce pays périphérique, «certains me demandent encore si l'euro bulgare sera valable et aura la même valeur» en France ou en Allemagne, s'amuse l'analyste.
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