Aldebaran : cette fois c’est vraiment fini pour l’ex-star française de la robotique
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Mauvaises nouvelles des étoiles : Aldebaran, l’entreprise qui portait le nom d’une brillante galaxie et a notamment créé le célèbre petit robot humanoïde Nao, va être liquidée faute d’avoir trouvé un repreneur sérieux et les 106 salariés que la société employait encore vont être licenciés. Ainsi en a décidé ce lundi 2 juin le tribunal de commerce de Paris à l’issue d’une audience qui avait débuté à 11h30 : «La liquidation judiciaire a été actée, le travail doit cesser immédiatement et nous avons deux jours pour rendre les clés et les badges d’accès, les derniers salaires vont être versés mais Aldebaran c’est terminé», a indiqué vers 16 heures un représentant du personnel à Libération. Pour ce dernier, c’est presque «un soulagement» et un «dénouement logique», après «six années d’erreurs et de mauvaises décisions» prises par les directions successives de l’ex-star française de la robotique domestique. Malgré le sentiment de «gâchis», tout le monde était las, après plusieurs plans sociaux ces dernières années et ces derniers mois d’angoisse suspendus à un hypothétique repreneur, explique-t-il en substance.
Le scénario du pire s’était confirmé le 28 mai lorsque Frédéric Abitbol, l’administrateur judiciaire nommé au chevet d’Aldebaran après son placement en procédure de sauvegarde début janvier, avait retoqué la seule offre restante émanant de Nao Robotics, une coquille vide créée par l’homme d’affaires suisse Jean-Marie Van Appelghem pour mener à bien son projet de reprise de la star déchue de la robotique made in France − qui devait être financé des capitaux émiratis. «L’offre est irrecevable et je serai contraint de conclure à son rejet», avait prévenu l’administrateur dans un mail adressé aux élus du CSE d’Aldebaran. L’autre repreneur potentiel, le Canadien Malik Bachouchi, avait lui jeté l’éponge quelques jours auparavant, faute d’avoir trouvé l’argent nécessaire à la relance des activités d’Aldebaran.
Si douloureuse qu’elle soit, la décision d’arrêter les frais n’a pas surpris les salariés de l’entreprise basée à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) qui savait à quoi s’en tenir depuis plusieurs jours. Le 23 mai, les élus du personnel avaient en effet auditionné Jean-Marie Van Appelghem pour juger du sérieux de son projet Nao Robotics. Et ils étaient ressortis de l’entrevue littéralement abasourdis par l’attitude de celui qui était censé sauver leurs emplois.
Propriétaire d’un groupe de cliniques privées spécialisées en psychiatrie et psychothérapie (Les Toises), Van Appelghem se faisait fort d’utiliser le robot Nao à des fins thérapeutiques dans ses établissements, les Ephad ou auprès des enfants en difficulté. Mais «le manque de sérieux et d’intégrité de ce candidat est devenu évident depuis qu’il est revenu sur sa proposition de maintenir des emplois en France et qu’il a fait pression pour pousser les salariés à candidater à des postes sous contrat suisse», pointe sèchement l’avis du CSE communiqué lundi matin au tribunal de commerce.
Nao Robotics devait ainsi reprendre initialement 24 salariés sur les 87 restant à Issy et les baser dans de nouveaux locaux à Meudon (Hauts-de-Seine) pour représenter Aldebaran en France. Et 42 postes basés à Nyon en Suisse et sous contrat local devaient être proposés aux salariés acceptant la délocalisation. Mais selon les délégués syndicaux, Van Appelghem a tenté de «débaucher» un par un les ingénieurs et commerciaux «pour les pousser à accepter ses conditions d’embauche moins-disante que le droit français». Et au bout du compte il s’est refusé à maintenir le moindre emploi en France : «Aucun contrat de travail de la société Aldebaran SAS n’est malheureusement repris dans l’offre du 27 mai», dénonce l’avis du CSE.
En tout état de cause, les représentants du personnel avaient aussi de gros doutes sur le sérieux économique du projet de l’homme d’affaires suisse, ce dernier s’étant abrité derrière «le secret des affaires» pour refuser de répondre à leurs questions : quel est l’actionnariat de Nao Robotics ? D’où viennent les 10 millions d’euros promis pour relancer Aldebaran ? A combien se chiffreront les investissements pour développer la nouvelle version du petit robot Nao ? Quelle sera la stratégie commerciale ? Autant d’interrogations restées sans réponses… L’administrateur judiciaire est manifestement lui aussi resté sur sa faim au point d’écarter le seul candidat à la reprise d’Aldebaran.
C’est donc la fin de l’aventure initiée vingt ans plus tôt par Bruno Maisonnier, un polytechnicien passionné de robotique qui avait donné naissance à Nao et toute une famille de robots interactifs comme Romeo, Pepper, Duo ou Plato. Inspiré par la vision du grand de la «SF» Isaac Asimov, inventeur des fameuses «lois de la robotique», Maisonnier croyait dur comme fer à l’avènement du robot compagnon pour tous quand il a créé Aldebaran en 2005 : c’est ainsi qu’il a conçu avec ses ingénieurs un petit robot sympathique haut de 57 cm programmé pour engager la conversation sur des sujets prédéfinis, mais capable aussi de danser ou de jouer au football avec d’autres robots du même type.
L’innovation avait fait grand bruit à l’époque − Nao avait même été invité sur les plateaux des JT de 20 heures de TF1 et France 2. Mais comme s’il avait pressenti l’avènement de l’IA qui a rendu caduque cette vision d’une incarnation anthropomorphique de «l’intelligence» des machines, Maisonnier avait décidé de revendre sa société dès 2015 au japonais Softbank. Aldebaran était ensuite passée en 2022 entre les mains du groupe allemand United Robotics qui a fini par jeter l’éponge pour cause de ventes de robots et chiffre d’affaires en chute libre.
Entretemps, la société qui a compté plus de 300 salariés aura vu ses effectifs décimés par les plans sociaux et son activité a été réduite à pratiquement zéro faute d’investissements ou de partenariat dans le secteur désormais critique de l’intelligence artificielle. Dans ces conditions, le sauvetage d’Aldebaran était robot pour être vrai.
Libération