Arthur, décédé au travail à 14 ans, Lorenzo à 15 ans… Pourquoi les jeunes sont les premières victimes ?

Il y a eu Arthur, décédé à 14 ans à cause d’un bras mécanique dans les Hauts-de-France, en 2017. Ou encore Tom, apprenti de 18 ans mort en 2021 dans un abattoir des Côtes-d’Armor. Entre les scies circulaires, les chutes de toits ou les engins lourds… les risques encourus par les mineurs sur leurs lieux de travail sont bien réels. Bien qu’encadré, leur apprentissage doit être encore plus protégé, revendique la CGT.
Sur les chantiers, il existe une « vieille culture ouvrière. Celui qui ne s’est pas blessé, ce n’est pas un vrai travailleur », raconte Gérald Le Corre, de la CGT-TEFP (travail, emploi, formation professionnelle). La règle vaut pour les plus jeunes. Le bâtiment, la menuiserie et l’agriculture figurent dans les secteurs avec la plus forte sinistralité, autant pour les apprentis que pour les salariés.
Âgés de 15 à 24 ans, les jeunes employés sont victimes d’un plus grand nombre d’accidents du travail que les autres catégories de salariés, reconnaît la Direction générale du travail. En cause, l’inexpérience, selon le ministère : « Les accidents du travail chez les moins de 25 ans surviennent plus souvent dans les douze mois suivant la prise de poste, comparé à l’ensemble de la population des travailleurs. Plus de la moitié des salariés de moins de 25 ans décédés au travail avaient moins d’un an d’ancienneté. »
De son côté, l’INRS (Institut national de recherche et sécurité) est formel : la fréquence des accidents du travail, pour les jeunes de moins de 25 ans, s’élevait à 10 % par an en 2018. Soit un bilan 2,5 fois supérieur aux accidents de l’ensemble des salariés (environ 4 %). En 2023, 38 jeunes sont décédés sur leur lieu de travail, ils étaient 43 en 2022.
Gérald Le Corre estime, lui, qu’encore aujourd’hui « les jeunes sont considérés comme de la main-d’œuvre bon marché, avec une situation de précarité forte, car ils n’osent pas faire appliquer leur droit de retrait. On pourrait éviter ces accidents ». Un constat partagé par Virginie Caron, secrétaire fédérale à la FNSCBA-CGT. « Il y a bien des quarts d’heures sécurité organisés dans les entreprises, mais c’est une fois par semaine, et encore. »
Elle plaide pour une meilleure formation sécurité en CFA (centre de formation pour apprenti) et pour un encadrement plus rigoureux des jeunes en activité. Les efforts de prévention en valent la chandelle : près de 878 900 jeunes sont en contrat d’apprentissage, sur les 4,2 millions d’adolescents en France (2024).
L’Assurance-maladie a engagé en 2023 72 millions d’euros d’aides financières pour soutenir les TPE-PME dans leurs investissements en matière de prévention des risques pour l’ensemble de leurs salariés. Insuffisant pour Gérald Le Corre, qui estime que « le non-respect des consignes de sécurité n’est pas une question de contraintes financières. Il manque des contrôles fréquents. Dans certains cas, un inspecteur du travail couvre 1 200 entreprises. Il y a aussi un vrai problème de sanctions pour les employeurs. Il n’y a pas de priorité politique » sur le sujet, déplore-t-il.
Pourtant, le Code du travail est clair : « Les jeunes travailleurs peuvent être affectés à des travaux légers. Il est interdit de les affecter à des travaux dangereux. » (travaux de démolition, abattage, élagage…). Mais en 2015, le gouvernement Valls a changé la donne sur les réglementations sur la sécurité. Depuis le décret Rebsamen du 17 avril 2015, les réglementations au travail se sont assouplies.
Pour « les besoins de leur formation professionnelle », les apprentis peuvent être affectés, « via une procédure de dérogation », à des manipulations dangereuses, comme le montage et démontage d’échafaudages, des travaux confinés dans des puits, conduites de gaz ou encore des égouts… Virginie Caron précise : « Ces dérogations existent. Mais l’employeur doit s’assurer qu’elles sont attribuées dans des conditions de sécurité valides, notamment pour les machines. Or, ce n’est pas le cas. » La CGT souhaiterait revenir sur ces décrets.
Pour les substances cancérogènes, c’est pire. « Depuis une dizaine d’années, une succession de décrets est ainsi venue assouplir considérablement les obligations des employeurs à l’égard de ces jeunes salariés », explique Anne Marchand, sociologue à l’université Paris-Saclay. Les entreprises ne sont plus tenues de demander une dérogation à l’inspection du travail pour exposer les apprentis aux produits cancérogènes. « Il suffit désormais de transmettre une simple déclaration. » « L’employeur reste quand même responsable de la sécurité de son équipe », rappelle Virginie Caron.
Consciente de ces lacunes, la Direction générale du travail (DGT) a lancé en 2023 un plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels (PATGM). Le ministère du Travail affirme que « plus d’un million d’élèves et apprentis des certificats d’aptitude professionnelle (CAP) /bac professionnel ont reçu un enseignement dédié en santé et sécurité au travail », en 2024 grâce à ce dispositif.
Le PATGM sensibilise notamment à l’exposition aux fortes chaleurs ainsi qu’aux malaises entraînant la mort. Chaque jour en France, plus de 100 travailleurs sont gravement blessés, et deux décèdent, d’après les chiffres officiels.
Premier élément de réponse, près de 180 inspecteurs du travail « prendront leur poste à l’été 2025 et 159 inspecteurs élèves sont actuellement en formation pour une prise de poste à l’été 2026 », affirme la DGT. L’objectif est de déployer des agents de l’inspection du travail l’année prochaine, auprès des élèves de lycée professionnel, « afin de les sensibiliser aux risques professionnels et de les informer sur leurs droits ».
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