Avec MaiaSpace, la France espère se relancer dans la course aux fusées réutilisables
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Une belle brochette de ministres en visite officielle sur le site d’ArianeGroup à Vernon dans l’Eure, en attendant une envolée lyrique présidentielle d’Emmanuel Macron la semaine prochaine au Salon du Bourget : à défaut de pouvoir agir sur le plan politique, l’exécutif a la tête dans les étoiles. Ce vendredi en fin d’après-midi, pas moins de quatre membres du gouvernement Bayrou vont venir officialiser «le soutien financier significatif» des pouvoirs publics à MaiaSpace, une start-up créée en 2021 par Airbus et Safran, les deux grands actionnaires d’ArianeGroup, avec pour objectif de développer en quatre ans un mini-lanceur réutilisable… contrairement à la fusée Ariane 6 qui a effectué son premier vol il y a un an.
Le ministre de l’Economie, Eric Lombard, celui de l’Industrie, Marc Ferracci, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, seront accueillis vers 16 h 30 par le PDG de MaiaSpace, Yann Leroy, à Vernon, où l’entreprise va construire sa «MaiaFactory», l’usine qui doit produire la petite fusée réutilisable Maia à partir de 2027. «Ils viennent signifier la priorité donnée par le gouvernement au secteur spatial et aux lanceurs réutilisables à un moment charnière et sur un segment clé, celui aujourd’hui trusté par SpaceX», expliquait en amont le cabinet du ministre de l’Economie. «Il s’agit de mettre en lumière le projet Maia et la Maia Factory comme une réussite de l’investissement public privé, avec le soutien de l’Etat.»
MaiaSpace, qui a été dotée à l’origine d’un budget de 125 millions d’euros par ArianeGroup, va ainsi bénéficier de nouveaux investissements «conséquents» de la part de ses actionnaires, mais aussi de la puissance publique dans le cadre du Plan France 2030. Le montant n’est pas communiqué, secret des affaires oblige, mais MaiaSpace devrait devenir l’une des start-up spatiales européennes les mieux financées du secteur des mini-lanceurs réutilisables, avec l’allemande Isar Aerospace et la britannique Orbex. «Maia est en compétition avec d’autres projets de mini-lanceurs en Europe mais nous allons montrer que la France se mobilise derrière son champion», souligne l’entourage d’Eric Lombard et Marc Ferracci.
MaiaSpace, qui emploie déjà plus de 300 ingénieurs et techniciens, va par ailleurs créer 160 nouveaux postes pour sa «MaiaFactory» : une usine flambant neuve installée sur 10 000 m2 au sein de l’emprise de Vernon et qui assemblera les différents éléments de la future fusée réutilisable. Ce site ultra-sécurisé niché dans la forêt des boucles de Seine, que Libération a pu visiter par le passé, a abrité les prémices du programme spatial français dès les années 1950, avec le précieux concours des scientifiques allemands de l’équipe von Braun, récupérés par l’armée française après la capitulation nazie. Ariane et ses moteurs Vinci, et désormais Vulcain, y sont nés dans le sillage de la fusée pionnière «Véronique».
Aujourd’hui, c’est un prototype bien plus moderne que les équipes de MaiaSpace vont tester et assembler : une fusée haute de 50 mètres propulsée par un premier étage réutilisable qui fonctionnera avec trois moteurs Prométheus d’une poussée de 100 tonnes chacun, alimentés au méthane liquide. L’engin pourra emporter 500 kilos à 4 tonnes de charge utile en fonction de sa configuration, pour mettre des satellites en orbite basse à 700 km d’altitude. On est loin des capacités des lanceurs moyens et lourds comme Falcon 9 et Ariane 6, qui peuvent embarquer chacun une vingtaine de tonnes. Sans parler du lanceur Falcon Heavy qui peut lui emporter 63 tonnes de charge utile. Mais le développement de la petite fusée Maia est «une manière de sonner le réveil de l’Europe spatiale» et «de gagner enfin une souveraineté totale» en matière d’accès réutilisable à l’espace, soulignent les sources ministérielles.
L’Europe est en effet complètement dépassée aujourd’hui par la firme Space X d’Elon Musk qui devrait réaliser cette année 180 tirs de sa fusée réutilisable Falcon 9 quand la nouvelle fusée Ariane 6, dont les étages ne sont pas récupérables, table tout juste sur dix lancements. Mais les technologies expérimentées par MaiaSpace, notamment celles déployées par le moteur-fusée pourront rapidement être utilisées par ArianeGroup pour développer une version enfin réutilisable de sa fusée Ariane. Des premiers tests ont déjà eu lieu à Vernon avec le démonstrateur Themis développé par le CNES pour préfigurer cette future «ArianeNext». Et l’idée de disposer de lanceurs réutilisables faisant drastiquement chuter les coûts emballe aussi les militaires pour le lancement de satellite d’observation et de nouvelles classes de missiles stratégiques.
«Maia pourra être réutilisée jusqu’à cinq fois, c’est un formidable enjeu de souveraineté qui s’ouvre à nous avec beaucoup d’innovations technologiques qui auront des applications duales civiles et militaires», souligne l’entourage du ministre de la Défense. «Maïa c’est aussi un maillon indispensable pour préparer le futur des lanceurs et c’est d’autant plus important que les sciences de la terre et du climat reposent sur une infrastructure spatiale importante, on a besoin d’un accès à l’espace autonome», fait remarquer de son côté une conseillère du ministre de la Recherche. Manière de rappeler que la France et l’Europe ne peuvent plus s’en remettre au bon vouloir d’un milliardaire imprévisible comme Elon Musk pour faire avancer la recherche sur le climat depuis l’espace.
Il y a un an, quelques semaines avant le premier tir d’Ariane 6 intervenu le 9 juillet 2024, Emmanuel Macron avait dit sa volonté de «faire émerger des Space X à la française» et son intention de faire de la base de Kourou en Guyane «le port spatial de l’Europe». Le chef de l’Etat devrait donc se féliciter de l’avancée que constitue ce nouvel investissement dans MaiaSpace et saluer «l’esprit pionnier» retrouvé par ArianeGroup, lors d’un discours au Salon de l’aéronautique et de l’espace prévu jeudi ou vendredi prochain. Le premier lancement de la fusée Maïa doit en effet intervenir entre 2026 et 2027 depuis la base de Kourou, où la fusée occupera le pas de tir laissé vacant par la fusée russe Soyouz depuis l’invasion de l’Ukraine. Et l’usine de Vernon devrait commencer à produire des lanceurs dans la foulée.
MaiaSpace a en effet signé son premier contrat commercial le 20 mars avec Exotrail : cette start-up française spécialiste de la logistique spatiale compte lui confier le déploiement de son «space van», un engin qui assurera le transport d’autres satellites une fois dans l’espace.
Libération