« De nouveau, les salariés sont placés dans une situation d’incertitude extrême » : énième redressement judiciaire en vue pour l’enseigne Naf Naf

L’impression d’un éternel recommencement pour l’enseigne de prêt-à-porter Naf Naf, dont les comptes ne se sont jamais remis de la pandémie de Covid-19. Mercredi 21 mai, les salariés du groupe ont été prévenus par leur direction qu’elle allait demander le placement de l’entreprise de mode féminine en redressement judiciaire, en vue d’un plan de continuation.
« Le scénario catastrophe que nous redoutions se répète, moins d’un an après la reprise par le groupe turc Migiboy », a regretté la CFDT dans un communiqué. La demande a été réalisée auprès du tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis). C’est lors d’un Conseil social et économique (CSE) extraordinaire, tenu dans la matinée de mercredi, que les salariés de l’entreprise ont appris la nouvelle.
Dans son avis du jour, consulté par l’Agence France-Presse (AFP), la représentation du personnel se dit « profondément choquée par la demande de mise en redressement judiciaire, qui intervient moins d’un an après la reprise ». Le CSE dénonce une « dissimulation mensongère de la situation réelle de l’entreprise » ces derniers mois de la part de la direction. « De nouveau, les salariés sont placés dans une situation d’incertitude extrême et voient leur emploi menacé », déplore de son côté la CFDT, selon laquelle Naf Naf emploie, en 2025, quelque 700 personnes. Contactée par l’AFP, la direction du groupe n’a pas souhaité commenter la situation.
Le repreneur turc s’était engagé, en juin 2024, à sauver 90 % des emplois et conserver une centaine de boutiques en propre. À l’époque, la société Migiboy a déboursé plus de 1,5 million d’euros pour reprendre l’enseigne française. L’entreprise avait alors maintenu 521 emplois sur 586 et 99 boutiques en France, puis repris les filiales en Espagne, en Italie et en Belgique. Le fabricant a racheté l’enseigne à une autre structure turque, SY International, qui était elle-même intervenu auprès de Naf Naf lors d’un redressement judiciaire en 2020.
Le groupe avait alors promis de conserver 944 des 1 170 emplois comptabilisés et 200 magasins sur 235. SY International avait déclaré, en septembre 2023, l’enseigne de prêt-à-porter en cessation de paiements. La procédure avait débouché sur un redressement judiciaire et la suppression de 88 emplois, après la fermeture de magasins.
La marque Naf Naf a été une actrice majeure de son secteur dans les années 1990, avec des ventes se comptant en millions d’exemplaires. Le groupe pouvait se targuer, au milieu des années 2000, d’avoir près de 500 boutiques éparpillées à travers l’Hexagone. Ses fondateurs l’ont finalement vendu, en 2007, pour environ 200 millions d’euros au groupe Vivarte. Face aux difficultés financières de la marque et une dette creusée au fils des ans, ce dernier décide de séparer de Naf Naf onze ans plus tard. Vivarte a finalement cédé l’enseigne à un consortium chinois mené par le distributeur la Chapelle, pour 52 millions d’euros.
La marque de mode enchaîne par la suite les déboires, avec une troisième demande de redressement judiciaire sur les cinq dernières années. Naf Naf a notamment dû s’endetter durant la pandémie, en raison de loyers impayés. Une trajectoire qui s’inscrit dans un contexte particulièrement difficile pour les entreprises textiles françaises, de Camaïeu à Kookaï, en passant par Gap France, André, San Marina, Minelli, Pimkie, Comptoir des Cotonniers, Princesse Tam Tam, IKKS et Kaporal. Selon les calculs de l’Humanité, plus de 8 000 emplois ont été supprimés ou ont été menacés de disparition en septembre 2022 et mars 2023, dans douze enseignes différentes.
Des difficultés entretenues par le développement de la fast-fashion à une échelle mondiale, dont le site Shein en est le triste symbole. Cette mode éphémère, aux très bas prix et aux collections renouvelées très fréquemment, grignote chaque jour des parts de marché en France. Le modèle économique des enseignes plus anciennes et bon marché apparaît ainsi comme une relique d’un autre temps.
Autre facteur à l’origine de cette crise : une prise de conscience grandissante des effets néfastes sur l’environnement causés par l’industrie textile (à l’origine de 10 % des émissions de gaz à effet de serre). La consommation d’habillement a par exemple chuté de 17 % entre 2009 et 2020, selon les chiffres du cabinet d’expertise Syndex. Cette combinaison de facteurs gravement nuisible aux marques comme Naf Naf.
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