Demandes en hausse, budget réduit, fraudes… Pourquoi le dispositif MaPrimeRenov’ va-t-il être suspendu ?

Par Le Nouvel Obs
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Le site France Renov sur un smartphone, le 31 décembre 2023. JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS VIA AFP
Le dispositif, lancé en 2020 pour encourager les rénovations énergétiques, sera suspendu à cause d’« un encombrement en ce moment et un excès des fraudes », a indiqué le ministre de l’Economie Eric Lombard. Un coup dur pour les acteurs du secteurs, les élus et les particuliers.
C’est confirmé. Victime de son succès, le dispositif de rénovation énergétique MaPrimeRénov’ sera bien suspendu, a confirmé le ministre de l’Economie Eric Lombard ce mercredi 4 juin. S’il n’a pas précisé la date de suspension du dispositif, plusieurs sources gouvernementales ont évoqué ces derniers jours le mois de juillet, comme le rapportait « Le Parisien », mardi. Le ministre de l’Economie Eric Lombard a cependant précisé qu’il voulait le rétablir « avant la fin de l’année ».
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Sur MaPrimeRénov’, « il y a à la fois un encombrement en ce moment et un excès des fraudes (…) d’où la suspension », a-t-il déclaré lors des questions au gouvernement au Sénat. « Mais naturellement, une fois que cela sera réglé, le processus pourra continuer », a-t-il ajouté, en précisant ultérieurement, devant la commission des Affaires économiques du Sénat, que le gouvernement avait « bien l’intention de rétablir le fonctionnement avant la fin de l’année ». « Il ne s’agit pas de faire une économie en cachette comme ça, en bloquant le système », a-t-il précisé.
Le nombre de logements rénovés avec des subventions de MaPrimeRénov’ a triplé en début d’année, alors que le budget prévu par l’État pour 2025 avait été réduit dans la loi de finances, pour s’aligner avec les montants consommés en 2024. Selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah), plus de 100 000 dossiers de rénovation ont été engagés depuis le début de l’année, pour un objectif fixé par l’État de 350 000 rénovations énergétiques, dont 100 000 rénovations globales.
12 % de dossiers suspicieuxAlors que MaPrimeRénov’ finance jusqu’à 90 % du montant des travaux pour une rénovation d’ampleur, le nombre de logements ayant pu en profiter a triplé au premier trimestre 2025, par rapport à la même période de 2024, selon des chiffres de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) publiés fin avril, alors que le budget prévu par l’État pour 2025 avait été réduit dans la loi de finances, pour s’aligner avec les montants consommés en 2024.
De quoi épuiser les ressources précipitamment pour l’année 2025. « Vu la montée en puissance de la rénovation des logements, qui n’est pas surprenante, c’était sûr qu’il y aurait un problème », relève auprès de l’AFP Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre).
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Le problème est désormais concret : sept collectivités territoriales du Grand Est ont écrit au ministère pour alerter sur l’épuisement de leur enveloppe budgétaire MaPrimeRénov’. Le département de l’Ardèche fait face à la même pénurie de fonds, tout comme la métropole de Lyon et de nombreux autres territoires qui sont chargés de distribuer les aides aux ménages modestes et très modestes pour la rénovation globale de leurs logements.
En outre, a indiqué Eric Lombard devant les sénateurs de la Commission des Affaires économiques, « l’instabilité des règles (…) permet aussi aux fraudeurs de s’organiser », a-t-il fait valoir, évoquant « 16 000 dossiers suspicieux » soit « 12 % du stock ».
La colère face à une « catastrophe absolue »La nouvelle a provoqué la colère des élus et acteurs du secteurs. « Une catastrophe absolue » pour Jacques Baudrier, adjoint PCF de la mairie de Paris chargé du logement. « La transition environnementale dans le bâtiment nécessite de l’argent public, sans quoi elle ne se fait pas », alerte aussi Manuel Domergue.
De leur côté, les entreprises de la rénovation énergétique s’inquiètent aussi : « S’il y a un coup d’arrêt de MaPrimeRénov’, ce sera brutal », craint Jean-Christophe Repon, président du syndicat des artisans du bâtiment, la Capeb. Un « gel » de MaPrimeRénov’ « casserait la dynamique de décarbonation engagée, désorganiserait les entreprises du bâtiment et découragerait les ménages. C’est tout l’écosystème de la rénovation énergétique qui serait réduit à néant », gronde la Fédération française du bâtiment, qui qualifie d’« inadmissible » l’hypothèse de suspendre les aides au second semestre.
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Craintes partagées par l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil), qui s’inquiète du « signal d’instabilité » envoyé « aux ménages comme aux professionnels du secteur ». « Cette décision, si elle venait à se concrétiser, confirmerait un manque coupable de volonté politique à faire de la rénovation énergétique une véritable priorité nationale, à la hauteur de défis climatiques et sociaux qui sont colossaux », poursuit l’Anil.
Le gouvernement a déjà commencé à chercher des solutions financières pour abonder MaPrimeRénov’ sans creuser encore plus le déficit public. Il prévoit de modifier les règles des certificats d’économie d’énergie (CEE) pour inciter des entreprises à financer des rénovations d’ampleur, ce qui aurait des effets « plutôt en 2026 », selon Damien Demailly, directeur adjoint de l’institut de recherches spécialisé dans l’économie du climat I4CE.
Le Nouvel Observateur