Droits de douane : Trump double les tarifs d’importation d’acier et déstabilise le secteur tout entier

À la Commission européenne, la litote est un art pratiqué à l’extrême. Quelques heures après le relèvement de 25 % à 50 % des tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis, le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, a ainsi commenté la mise en pratique de l’oukase de Donald Trump sur la sidérurgie mondiale : « Nous regrettons fortement. » Puis, il a précisé ce mercredi 4 juin, en marge d’une réunion de négociation au siège parisien de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : « Cela n’aide pas les négociations actuelles (sur l’ensemble des tarifs douaniers avec les États-Unis – NDLR) d’autant que nous réalisons des progrès. »
Pour les fabricants d’acier à travers le monde, le décret présidentiel états-unien pris mardi et entré en vigueur dès ce mercredi matin fait souffler un vent de tempête sur un secteur déjà dans la tourmente. Le 27 mai, l’OCDE alertait sur une « augmentation spectaculaire des surcapacités, (qui) menace la stabilité du marché de l’acier, l’emploi et les plans de décarbonation ». « Les excédents de capacités devraient atteindre 721 millions de tonnes (Mt) d’ici à 2027, soit environ 290 Mt de plus que la production d’acier cumulée des pays de l’OCDE en 2024 », note l’organisation internationale.
Principale accusée : la Chine, productrice de la moitié de l’acier mondial, qui assoit sa position dominante à coups de subventions. Jusqu’alors, ses surcapacités étaient absorbées par sa forte demande intérieure. Mais la faim d’acier s’est tassée au niveau mondial comme chez elle. D’où la réponse tarifaire de Donald Trump. « Ces nouveaux droits de douane seront plus efficaces pour lutter contre l’excès de production bon marché provenant des pays étrangers, qui vient miner la compétitivité des industries de l’acier et de l’aluminium des États-Unis », a-t-il expliqué, avouant au passage que la précédente surtaxe de 25 % avait échoué à assurer la pérennité de la production made in USA.
En Europe, les groupes sidérurgistes, ArcelorMittal en tête, craignent que l’acier chinois pollué et ultra-subventionné trouve un exutoire sur le Vieux Continent. D’où leur demande d’accélérer la mise en place du plan européen de soutien, esquissé en mars dernier, fondé sur le renforcement du mécanisme de blocage des importations d’acier non décarboné, sur une nouvelle hausse des tarifs douaniers pour contrer les surcapacités ainsi que sur l’augmentation des aides publiques à l’emploi et à la transition énergétique.
Une logique de protectionnisme qui oublie que les multinationales européennes jouent elles-mêmes un rôle dans la déstabilisation mondiale. « À l’image d’ArcelorMittal, (ils) organisent la mise en concurrence des travailleurs et des territoires à l’échelle planétaire, cherchant à produire là où les normes sociales, fiscales et environnementales sont les plus faibles, pour ensuite vendre sur les marchés où les demandes sont les plus solvables. Cette logique conduit à la désindustrialisation de l’Europe et à la détérioration de son solde commercial », soulignent les économistes Tristan Auvray et Thomas Dallery.
Quant à leur stratégie de financiarisation, elle « oriente les décisions vers une recherche du profit immédiat et de la rémunération des actionnaires, au détriment de l’investissement productif et de l’emploi ». Selon leurs travaux, seule une nationalisation d’ArcelorMittal, couplée à des protections et décarbonation, pourrait sortir l’acier européen de l’ornière.
L'Humanité