Guerre commerciale : la Chine n’a rien eu à faire pour que Trump cède

Au moment de déclarer sa guerre commerciale au monde entier, le président Trump a lancé un sévère avertissement : “Ne prenez pas de mesure de rétorsion et vous serez récompensés.” La Chine n’en a eu cure. Elle a pourtant été récompensée. Lundi 12 mai, Trump a largement battu en retraite en échange de… rien, si ce n’est la promesse de discussions à venir. Pour tous ceux que le président américain menace – pays, entreprise ou université –, il y a donc une leçon à retenir de cet épisode.
L’annonce des nouveaux droits de douane américains avait été mise en scène avec force grandiloquence. S’ils se soumettaient, les pays visés seraient remerciés pour leur obéissance, assuraient le président Trump et ses acolytes. Quiconque oserait les défier serait gravement puni.
“Je ne voudrais pas être le dernier pays à tenter de négocier un accord commercial avec @realDonaldTrump, postait [sur X] son fils Eric. Le premier qui sera prêt à négocier remportera la mise – le dernier perdra tout. Je connais ce film par cœur.”
La plupart des pays ont suivi ce conseil, qui leur a simplement fait comprendre toute la difficulté de conclure un accord commercial avec un président dont la compréhension des mécanismes commerciaux laisse plus qu’à désirer. Plusieurs diplomates étrangers ont fait part de leur frustration face à l’incapacité du président à formuler clairement ce qu’il attend d’eux – sans même parler de ce qu’il serait prêt à leur offrir en retour. À l’heure actuelle, seul le Royaume-Uni est parvenu à un arrangement dans ses relations commerciales avec les États-Unis.
La Chine, elle, a pris des mesures de rétorsion et a décrété d’imposants droits de douane sur les importations américaines. Le président Trump a alors décidé d’en faire un exemple : “Face au manque de respect de la Chine pour les marchés mondiaux, j’ai décidé d’augmenter les droits de douane de la Chine vers les États-Unis à 125 %, avec effet immédiat”, a-t-il claironné sur son réseau Truth Social (avant de faire passer ce chiffre à 145 % par la suite). Les pays qui avaient fait montre de respect seraient, eux, épargnés.
Trump a tenu un mois avant de faire machine arrière. En vertu d’un nouvel accord conclu pour quatre-vingt-dix jours, les droits de douane appliqués aux produits chinois seront réduits à 30 %, et 10 % pour les produits américains importés en Chine. “Des deux côtés, il y avait un consensus pour éviter un découplage”, a résumé le ministre des Finances américain, Scott Bessent, lors d’une conférence de presse à Genève. Comme si toute cette histoire n’avait été qu’un vaste malentendu.
Oubliées toutes les décennies durant lesquelles la Chine aurait prétendument “arnaqué” les États-Unis, oubliées l’insolence de Pékin et la prétendue nécessité pour les États-Unis de réduire leur dépendance aux importations chinoises. Le gouvernement Trump n’essaie même pas de faire croire qu’il a fait payer quoi que ce soit à la Chine pour son impertinence. Il se contente de purement et simplement effacer le chapitre du “pas de mesures de rétorsion”, pour mieux passer à autre chose, comme si le but ultime avait toujours été de seulement améliorer les relations avec Pékin.
En matière de politique commerciale, cet épisode n’a strictement aucun sens. Mais on aurait tort d’analyser le comportement de Trump comme s’il avait pour seul objectif de réorganiser le marché mondial : le président américain joue un rôle, celui d’un personnage de fiction. Il incarne la version présidentielle du boss dans l’émission The Apprentice. Enfoncé dans son gros fauteuil en cuir, il édicte son jugement devant des prétendants tout bredouillants.
Ses menaces impérialistes contre le Canada, le Groenland et le Panama, de même que sa décision unilatérale de renommer le golfe du Mexique, ne servent aucun objectif concret. Au contraire, elles engendrent un ressentiment qui affaiblit son pouvoir d’influence. Si Trump avait vraiment voulu annexer le Groenland, le plus sûr moyen d’y parvenir aurait été de la jouer fine, plutôt que d’affirmer qu’il arriverait à ses fins, d’une manière ou d’une autre. Le but de ce jeu de dupes semble plutôt être de conforter Trump dans le rôle du petit chef qui s’en prend aux plus faibles.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette façon de gouverner est des plus inhabituelles, même si l’ère Trump a commencé il y a presque une décennie. Or, si les cibles du président américain réagissent souvent dans la panique, un schéma classique semble se dégager : Trump enjoint à ses cibles de se soumettre, mais accepter ses conditions est la porte ouverte à de nouvelles menaces et humiliations.
Prenons quelques exemples récents. Lorsque l’université Columbia a accédé aux demandes fédérales, tout ce qu’elle a obtenu, c’est que le gouvernement revienne à la charge en exigeant encore plus. De même, le puissant lobby pharmaceutique américain a préféré ne pas opposer de résistance à la nomination de Robert F. Kennedy Jr. au ministère de la Santé, alors que son idéologie complotiste et antivax était en contradiction directe avec le poste. Mal lui en a pris, puisque loin de renier ses positions extrémistes, il a durci la guerre contre l’industrie pharmaceutique, coupé les financements de la recherche scientifique et pris des mesures pour encadrer le prix des médicaments.
À l’inverse, quand Harvard a bravé l’autorité de Donald Trump, le gouvernement a prétendu que la lettre de menaces avait été envoyée par erreur et a déploré que l’université réagisse de façon excessive. Il est vrai que le président américain a haussé le ton et s’en est pris au statut d’exonération fiscale de l’université américaine, mais il a peu de chance d’obtenir gain de cause devant les tribunaux. Or contester une décision de justice ne l’aidera pas à contraindre Harvard au paiement d’impôts dont elle n’est pas légalement redevable. Autre exemple : lorsque Mark Carney, fraîchement élu Premier ministre du Canada, a affirmé que son pays ne serait jamais à vendre ou à prendre, Trump l’a invité à un échange chaleureux dans le Bureau ovale, au cours duquel il a semblé s’accommoder de son refus.
Dans ces négociations, la seule véritable difficulté est qu’il est presque impossible de “gagner” face à Trump, car ses relations reposent sur le modèle perdant-perdant. Il ne semble pas admettre la possibilité d’un jeu à somme positive, et ses tentatives de transformer une relation fructueuse en rapport d’exploitation sont préjudiciables pour les deux parties.
C’est d’autant plus flagrant dans le domaine commercial : ses instincts protectionnistes ont instauré un climat de méfiance dans le monde entier, sans produire le moindre bénéfice. L’extorsion de fonds auprès des entreprises et de la société civile américaine n’a servi qu’à affaiblir une des sources d’innovation pour laquelle les États-Unis sont les plus réputés, avec pour seul avantage l’expansion du pouvoir de Donald Trump.
Trump n’est qu’une petite frappe avide de soumission et terrifiée par le conflit. Lui tenir tête ne vous assure pas de gagner, mais déposez les armes et c’est la défaite assurée.
Courrier International