«Il est très mauvais pour l’État de se mêler de la gestion des entreprises privées», lance Bernard Arnault devant les sénateurs
«Nous sommes sans doute le groupe le plus patriote du CAC 40», a souligné le patron de LVMH mercredi.
Le grand oral de Bernard Arnault était attendu. Ce mercredi, le PDG du géant du luxe LVMH s’est exprimé devant la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques versées aux grandes entreprises. Un exercice pas si habituel pour l’homme d’affaires, qui n’avait pas été auditionné au Parlement depuis janvier 2022. Face aux sénateurs, le patron du premier groupe de luxe mondial a défendu pied à pied son modèle économique, ses investissements en France et son patriotisme fiscal.
D’emblée, le ton est donné. Bernard Arnault évoque une Une du journal L’Humanité - dont Fabien Gay, rapporteur de la commission, est directeur - qui affirmait que le secteur du luxe «sabrait l’emploi». Le patron s’est dit «un peu choqué» avant d’interroger : «Pourquoi votre journal a titré avec quelque chose qui est faux ?» Après avoir défendu la liberté de la presse, Fabien Gay l’a taclé : «Nous avons eu beaucoup de mal à faire en sorte que vous veniez. Si vous voulez que nous communiquions là-dessus, je ne suis pas sûr que cela soit à votre avantage.»
L’audition, dernière prévue dans le cadre de cette commission, intervient dans un contexte tendu, alors que les annonces de plans de sauvegarde de l’emploi se multiplient et que certains élus, à l’image de la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, appellent à «conditionner les aides aux entreprises», notamment à l’interdiction de licencier.
Bernard Arnault, lui, préfère vanter les vertus économiques de son groupe : «LVMH est un groupe qui investit beaucoup en France et dans le reste du monde». Dans l’Hexagone, le groupe a investi «3,5 milliards d’euros» en 2023 et «plus de 1,5 milliard» en 2024, a-t-il fait valoir, avant de souligner ses résultats sur le front de l’emploi : «Nous avons 40.000 employés en France. LVMH est toujours en tête des entreprises qui recrutent depuis plusieurs années.»
Le groupe s’est également défendu sur le terrain des subventions dont il bénéficie : «Sur l’exercice 2023, la contribution fiscale totale du groupe en France est de près de 4 milliards d’euros», a souligné directrice financière adjointe du groupe, Cécile Cabanis. Soit une charge nette bien supérieure aux «64,5 millions d’euros de crédits d’impôt» perçus. LVMH, affirme-t-elle, investit massivement en France, à hauteur de 3,9 milliards d’euros cette année-là. Le patron du luxe a d’ailleurs tenu à rappeler que son groupe «a participé à la reconstruction de Notre-Dame sans recourir à la loi mécénat», qui permet de bénéficier de déductions fiscales.
Mais la question sensible de l’optimisation fiscale n’a pas tardé à surgir. Le rapporteur Fabien Gay cite la Cour des comptes et évoque les nombreuses filiales détenues par les entreprises du CAC 40 dans des paradis fiscaux. «Je voudrais m’élever totalement contre ce qui a été dit dans un certain nombre de journaux», rétorque Bernard Arnault. «Faut-il, pour ne pas faire de l’optimisation fiscale, fermer notre filiale au Panama ?» Avant de marteler : «Notre groupe est probablement parmi tous ceux du CAC 40 le plus patriote. Nous sommes d’ailleurs celui qui paye de loin le plus d’impôts en France, tout en ayant uniquement 8% de notre chiffre d’affaires en France.» Le chef d’entreprise en a d’ailleurs profité pour dénoncer «l’augmentation subite de 40% des impôts sur les bénéfices déclarés en France», qu’il qualifie d’«à peine croyable».
Sur le sujet brûlant des suppressions d’emplois, notamment les 1200 postes visés chez Moët Hennessy, Bernard Arnault tempère : «On a moralement la responsabilité de ne pas faire de licenciements, mais on ne peut pas être obligé de garder le même nombre d’emplois quand la conjoncture est difficile». Une réalité qui distingue le monde des affaires de l’administration, selon le patron, «et j’aurais quelques mots à dire sur ce sujet.».
Interrogé sur l’appel d’Emmanuel Macron qui avait invité les entreprises françaises à suspendre leurs investissements aux États-Unis après l’annonce des droits de douane, Bernard Arnault a répondu ne pas vouloir «arrêter l’expansion et l’implantation» de LVMH qui «existaient déjà» outre-Atlantique. «Le premier marché du monde pour nous, ce sont les États-Unis», a-t-il souligné. «Je crois qu’il est très mauvais pour l’État de se mêler de la gestion des entreprises privées. En général, ça mène à la catastrophe», a ajouté le PDG. Il regrette d’ailleurs que l’accord commercial entre l’UE et Washington soit «mal parti» et appelle à une résolution «à l’amiable». «Il faut négocier, comme l’ont fait les Anglais, avec des concessions réciproques. Si on menace [Donald Trump], on aura le résultat inverse», avertit l’homme d’affaires.
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