Pesticides : l’Anses défend son rôle de protection

Le directeur général de l’Anses, l’Agence de sécurité sanitaire, Benoît Vallet, prend rarement la parole publiquement sur le sujet sensible de la régulation des pesticides. Mais voilà des mois que cette instance, placée sous la tutelle de trois ministères, se voit mise en cause par les deux principaux syndicats agricoles, la FNSEA et la Coordination rurale.
Ils l’accusent de mettre en difficulté des filières en interdisant des pesticides pour lesquels il n’existe pas d’alternatives. Autre grief : l’agence devancerait parfois les autorités européennes dans ses décisions de retrait de produits et pénaliserait de ce fait la « Ferme France » par rapport à ses homologues des autres États membres.
Critiques des politiquesDepuis la crise agricole de l’hiver dernier, ces critiques ont été relayées à demi-mot ou ouvertement par plusieurs personnalités politiques, y compris par des membres des gouvernements successifs. L’actuelle ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a franchi un pas supplémentaire en s’abstenant de condamner une opération menée en novembre 2024 par la FNSEA pour murer symboliquement l’entrée des sièges de l’Anses et de l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Mais c’est une proposition de loi qui a poussé Benoît Vallet à sortir de sa réserve. Porté par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste), le texte, qui vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », retire des marges de manœuvre à l’Anses.
Des compétences transférées du ministère à l’Anses en 2014Pour comprendre ce qui est en jeu, il faut remonter en 2014. Le ministre de l’agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, décide de confier à l’Anses le pouvoir de délivrer et de retirer les autorisations de mise sur le marché des pesticides – pouvoir qui était jusqu’alors entre les mains du ministère. Pour Laurent Duplomb, cette décision est responsable d’une partie des maux auxquels est confrontée l’agriculture française.
La première version de la proposition de loi redonnait la main au ministre de l’agriculture qui avait, dans certaines conditions, la possibilité de suspendre une décision de l’Anses. La version finale votée par le Sénat le 27 janvier ne va pas aussi loin mais restreint tout de même les pouvoirs de l’agence.
Elle doit ainsi informer le ministère des demandes d’autorisation ou de prolongement qu’elle reçoit, ainsi que de ses projets de décision. Surtout, la proposition de loi confirme la mise en place d’un « conseil d’orientation de protection des cultures », organisme dont la création avait déjà été annoncée par Annie Genevard en décembre 2024.
Risque d’interférences entre enjeux sanitaires et économiquesCette nouvelle instance pourrait demander à l’agence de se pencher en priorité sur certains produits phytophamarceutiques. « De ce fait, le conseil pourrait interférer dans notre calendrier d’examen des autorisations de mise sur le marché des pesticides. Si cela se concrétise, cela viendra fragiliser notre système sanitaire », a affirmé Benoît Vallet lors d’une conférence de presse, le 24 février.
La composition de ce conseil inquiète aussi le directeur général. « Y siégeraient des représentants de l’industrie et des filières, ce qui pose un problème déontologique car cette instance leur donnerait une capacité d’influence sur nos décisions, a souligné Benoît Vallet. Il faut se souvenir que les agences sanitaires, dont l’Anses, ont été créées pour séparer les intérêts sanitaires des intérêts économiques et mettre ainsi fin aux interférences observées dans différentes affaires, que ce soit l’amiante, le sang contaminé ou encore le chlordécone. » Cet insecticide autorisé jusqu’au début des années 1990 dans les plantations de banane des Antilles est responsable d’une contamination massive des ressources en eau et des populations.
Avec la création d’un tel conseil, l’agence redoute ainsi que les enjeux économiques prennent le pas sur les enjeux sanitaires. Ce qui donc marquerait une rupture et un recul. Et ce d’autant plus que la loi d’orientation agricole, votée définitivement le 20 février, consacre le principe « pas d’interdiction (de phytosanitaires, NDLR) sans solution », porté par la FNSEA.
Benoît Vallet rappelle que le ministère peut toujours faire usage du système de dérogation. Dans des situations exceptionnelles, un produit peut ainsi être autorisé durant une durée maximale de cent vingt jours. L’Anses sera-t-elle entendue ? Réponse dans quelques mois : la proposition de loi des deux sénateurs sera débattue à l’Assemblée nationale au printemps.
La Croıx