« Quand ils sont présents, il faut le dire aussi » : près de Bordeaux, les pères en mots et photos

Dans l’exposition « Papas à filles » à Lormont, une vingtaine d’hommes parlent de leurs espoirs et craintes pour leur progéniture. Et posent avec elles
« Quand j’imagine Nou-jéa plus tard, je l’imagine responsable avec une belle conscience des choses. Elle a une véritable force de caractère que j’espère, elle gardera. L’instabilité sociale et environnementale m’inquiète parfois. J’ai peur que cela ait des conséquences négatives sur sa perception des choses et influence les valeurs que j’ai essayé de lui transmettre. » Ainsi parle Jaouen Guerinik, papa à bonnet qui échange un regard tendre avec sa fille de 10 ans. Le noir-et-blanc est sobre, l’amour haut en couleur.

Benjamin Domingie
Une vingtaine d’hommes, pères d’enfants de 8 mois à 22 ans, fixés du duo jusqu’au quintette dans l’objectif de Benjamin Domingie. Sous les photos, les mots de Frédéric, Abderrahim, Stanislav, Andy, Julien ou Mamoutou. Tous « Papas à filles », à qui Mathilde Gonzalez a demandé leurs espoirs et leurs craintes quant à leurs drôlesses. Pour aujourd’hui et demain. « Si l’on interroge, documente et sensibilise avec raison et nécessité le rôle des mères, il me semblait intéressant aussi de donner la parole aux pères concernés et il y en a ! »

Benjamin Domingie
L’animatrice référente enfance au centre social et culturel du Phare à Lormont confie le stimulus personnel : « Je ne voulais pas d’enfant, mon mari m’a convaincue et je n’aurais pas pu trouver meilleur père pour ma fille », dit-elle. « Mon père, même s’il était peu disponible, a aussi toujours été là dans les moments importants. » Alors à l’heure du patriarcat enfin craquelant, il s’agit de faire parler et poser des papas qui assurent et doutent à la fois. « Quels sont leurs rêves pour elles, comment se préparent-ils à les voir évoluer dans un monde encore inégalitaire ? »

Y.D. /SO
Sept premiers pères ont été sollicités en 2023 pour une première expo, un premier court métrage, avec un point commun : l’enfant à naître.
Deux ans plus tard et via les écoles publiques de Lormont, un appel à papas dont les filles sont désormais bien là. « Pour une fois qu’on demande aux papas d’être au centre d’un projet comme ça : j’ai vite accepté », sourit Jaouen Guerinik. « Quand ils sont présents, il faut le dire aussi. » Il salue la bienveillance de l’animatrice et du photographe.

Benjamin Domingie
Les entretiens en amont menés par Mathilde Rodriguez ont aussi un point commun : « la pudeur de ces pères qui pour la plupart s’exprimaient pour la première fois sur ce sujet hors du cadre familial. Les mamans ont été souvent un intermédiaire précieux pour inciter les maris à se confier. » « Dans un monde où l’on court, c’est bien de se poser », ajoute Mathieu Dubarry, père de Thelma, 6 ans. « On n’a pas toutes les réponses, on essaie d’être là. » Au sujet de Cloé, 7 ans, Stéphane Terraube se dit « serein sur ce que je lui transmets, les craintes viendront en grandissant. Là, je profite ! On n’est pas des si mauvais gars, on y arrivera… » La photo est déjà en bonne place à la maison.
Les craintes viendront en grandissant. Là, je profite ! »
Au fil des clichés et des mots, se dessine une paternité consciente, prudente mais enthousiaste, traversant les milieux socio-économiques, les origines très diverses du casting. Turquie, Portugal, Maghreb, Bulgarie, Roumanie, Brésil : les racines de ces papas lormontais convergent vers les mêmes enjeux de transmission et d’épanouissement. Les pères absents ne sont forcément pas dans l’expo. « Est-ce une raison pour ne pas parler de ceux qui sont là ? », dit Mathilde.

Benjamin Domingie
« Je veux être plus présent pour mes filles et ma femme », dit doucement Carimo Da Silva Mendes qui a posé avec Jessica et Carima. Le travailleur dans le BTP va bientôt pouvoir revenir chaque semaine de ses chantiers vers son quartier Carriet. « J’espère qu’elles feront de belles études », dit-il sous sa photo. « Jessica choisira probablement médecin et Carina comptabilité. » Pour l’instant, c’est foot et basket…
Les vingt « modèles » ou presque se sont retrouvés lors du vernissage, le 8 mars pour la Journée des droits de la femme. Longtemps au centre social, l’exposition se partage en ce moment entre l’école Pagnol et, ouvert au public, le lieu d’accueil enfants-parents de l’espace Arc-en-ciel. D’autres haltes en vue et l’idée encore d’un court métrage prolongeant la démarche. « Je souhaite que Keira et Kenaia deviennent des femmes qui n’ont pas peur d’assumer l’origine de leurs parents, leurs origines, tout en respectant ce monde qui est forcément différent d’elles. […] Ma seule crainte concerne ce qui, à mon sens, n’est pas encore assez clair aujourd’hui : la place de la femme dans la société » : Kévin à Lormont, 2025.
SudOuest