Quartier des Aubiers à Bordeaux. « Il faut écouter les gens » : des riverains pointent une rénovation urbaine hors sol

Quatre ans après le lancement des premières phases de travaux, les habitants peinent à voir les réalisations concrètes de la rénovation urbaine malgré la construction du groupe scolaire. Certains accueillent avec circonspection le projet de dojo et d’école du cirque
La dalle de béton a été engloutie, laissant la place à un espace ceinturé de grilles, au cœur du quartier des Aubiers. L’endroit jouxte un rez-de-chaussée couleur bronze : des locaux flambant neufs qui attendent d’être investis, alors que ce quartier populaire de Bordeaux est en pleine rénovation urbaine. « Cela fait longtemps qu’on nous en parle mais on attend toujours », souffle Skaya en passant devant le terrain vague. Comme cette native des Aubiers, de nombreux habitants peinent à voir les réalisations concrètes, alors que les premières phases de ce programme à 166 millions d’euros (hors taxes) ont été engagées en 2021.
Aux côtés de Skaya, Mervé valide toutefois les choix urbanistiques : libérer des espaces centraux pour les réaménager. « Quand je sors sur mon balcon, c’est plus aéré qu’avant », remarque la riveraine. Les deux Bordelaises n’évoquent pas d’emblée ce qui a pourtant été un projet phare : l’ouverture de la nouvelle école Louise-Michel au printemps 2024. En revanche, Skaya a entendu parler de la future école du cirque. « C’est bien mais pas pour les jeunes du quartier. Ils ne s’intéressent pas au cirque », estime Mervé en jetant un regard à un groupe qui tourne en pied d’immeuble. C’est ici que le jeune Lionel avait été touché par un tir en 2021, alors que le procès des personnes suspectées d’avoir causé sa mort doit s’ouvrir lundi 12 mai.

Infographie SO
« Il n’y a aucune concertation sur les activités qui pourraient s’installer dans le quartier », déplore Eddy Durteste. Figure du monde associatif aux Aubiers, il a longtemps animé le quartier avec l’association Urban Vibrations School (UVS), avant de passer la main en 2018. Aujourd’hui, l’association n’est plus active. Eddy Durteste habite toujours sur place et dénonce un programme de rénovation hors sol, même s’il salue l’ouverture de l’école.

Fabien Cottereau/SO
Le quadragénaire cite notamment le dojo qui doit ouvrir en mai dans les locaux rénovés. Les habitants que nous avons croisés n’en avaient pas entendu parler. « Il faut vraiment commencer par écouter les gens qui vivent sur place », s’agace Sophie (1), une éducatrice qui a travaillé pendant une vingtaine d’années aux Aubiers.
Un dojo va s’installer« Ce dojo était d’abord une opportunité pour Domofrance : intégrer le dispositif national “1 000 dojos solidaires”, souligne Vincent Maurin, maire adjoint du quartier Bordeaux maritime depuis 2020. L’idée est de s’adresser aux enfants, sur le temps scolaire et périscolaire. Mais également lors d’interclasse. » Concernant l’école de cirque, l’élu souligne que la structure doit libérer le site qu’elle occupe près de la base sous-marine. Il défend les choix municipaux. « Quand une activité de haut niveau et non stigmatisée de la Ville veut s’installer, il faut s’en féliciter. Nous ne voulons pas renoncer au foot ou à la boxe. Mais nous souhaitons aussi diversifier l’offre. » Sur son site, Bordeaux Métropole évoque une concertation menée entre 2017 et 2018.
Croisée dans la boulangerie, au pied des tours, Skaya sourit fièrement quand elle raconte son quartier. « Ici, c’est la famille », annonce l’habitante de 39 ans. « Ne dites pas que nous sommes un quartier pauvre », met en garde Mervé. Le qualificatif sonne à ses oreilles comme une sentence qui stigmatise. Les chiffres sont là : les 3 300 habitants du quartier prioritaire du Lac, qui englobe les Aubiers et la Résidence du Lac, affichent le revenu médian le plus faible des quartiers de Gironde. Pour le revenu par habitant, il occupe la dernière place au niveau régional, selon le préfet Étienne Guyot, qui a visité les Aubiers à son arrivée en 2023.

Guillaume Bonnaud/SO
« Malgré la rénovation urbaine, les problèmes restent, constate Sophie. Il y a besoin d’initiatives pour la jeunesse : aide aux devoirs, formation et insertion professionnelle. » Dans le quartier, l’antenne Pimms assure actuellement de la médiation sociale. Elle accueille également un point France Services qui accompagne les habitants dans leurs démarches.
Des commerces incendiés« Il nous manque un bureau de tabac et la Poste », énumèrent Skaya et Mervé. Les deux commerces ont été incendiés, respectivement en 2024 et 2020, lors des poussées de violence de la Saint-Sylvestre. « J’ai des parents très âgés. Ils ne peuvent pas aller jusqu’au Grand Parc ou cours Édouard-Vaillant pour trouver une Poste », s’agace Skaya. Les habitants pestent également contre le distributeur de billets, très souvent à sec. Il est surtout victime de son succès, selon Vincent Maurin. « La Poste m’assure qu’il est réapprovisionné régulièrement, mais c’est le distributeur qui marche le mieux de Bordeaux ! »

Thibault Seurin
Le quartier du lac ressemble à un désert culturel. Aucune salle de musique, aucun lieu pour le théâtre ou la danse
La rénovation urbaine installe de nouveaux locaux commerciaux en cœur de quartier. Ce dernier dispose déjà d’une pharmacie, boulangerie, épicerie, boucherie et coiffeur. « Nous serons très attentifs aux activités qui seront implantées, assure Éric Mangiarotta, directeur de la gestion immobilière et sociale chez Domofrance. L’idée est d’avoir quelque chose qui rende service aux gens des Aubiers mais aussi au-delà. » De leur côté, Skaya et Mervé préviennent : « Ici, il faut se faire sa place. On ne peut pas arriver et dire aux jeunes de dégager d’en bas des immeubles. »
Un désert culturel ?Les habitantes pointent aussi l’absence de lieux où sortir : le quartier du lac ressemble à un désert culturel. Aucune salle de musique, aucun lieu pour le théâtre ou la danse. « C’est une réalité », admet Vincent Maurin. Il met en avant la construction d’un nouveau centre d’animation agrandi, en face de l’actuel. Le maire de quartier évoque également le projet d’installer un studio municipal de musique actuelle en pied d’un îlot, dans le quartier Ginko, voisin des Aubiers.
« Lorsque tu sors du quartier, tu te sens étranger à toi-même. Les gens te voient comme une racaille »
« Cela ne fait pas une offre culturelle diversifiée », fait remarquer Sophie. Elle souligne l’importance de créer des passerelles. « Entre les Aubiers et certains quartiers de Bordeaux, ce n’est plus un fossé mais un trou béant. » Au détour de la conversation, Mervé le confirme : « Ici, on est tellement solidaires que, lorsque tu sors du quartier, tu te sens étranger à toi-même. Les gens te voient comme une racaille, comme le quartier le plus pauvre. » Avec Skaya, elle veut monter une association pour aider les personnes âgées des Aubiers.
(1) Il s’agit d’un prénom d’emprunt.
SudOuest