«Trois mois pour discuter» : le coup d'envoi des négociations sur les retraites sera donné ce jeudi
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Jusqu’à fin mai au moins, les syndicats et le patronat se réuniront chaque semaine pour tenter d’amender la très impopulaire réforme, dont la mesure phare décale progressivement l’âge légal de départ de 62 à 64 ans.
Après le diagnostic «préoccupant» de la Cour des comptes sur l'état financier du système de retraites, syndicats et patronat entrent jeudi dans le dur des discussions pour dessiner un nouvel avenir à la réforme de 2023, avec des solutions diamétralement opposées. Jusqu'à fin mai au moins, les syndicats et le patronat se réuniront chaque semaine pour tenter d'amender la très impopulaire réforme, dont la mesure phare décale progressivement l'âge légal de départ de 62 à 64 ans. S'ils décrochent un accord partiel ou total, le texte sera soumis au Parlement, a assuré le premier ministre. Ils commenceront jeudi après-midi par débattre du périmètre et du calendrier des discussions, selon plusieurs sources syndicales.
Matignon promettait au départ de les laisser débattre «sans tabou», à condition de ne pas dégrader l'équilibre financier du système. Mais l'exécutif complexifie désormais l'équation, appelant les négociateurs à tendre «vers l'équilibre». «Ils ont trois mois pour discuter», a rappelé la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet ce mardi sur France Inter, avant d’expliquer que la «feuille de route» était de «retrouver une trajectoire à l’équilibre». «Il y a eu le temps de l’expertise, celle de la Cour des comptes, il va y avoir le temps des négociations sociales qui s’ouvrent ce jeudi, et il y aura le temps politique s’il y a des sujets qui doivent être soumis au Parlement», énumère la ministre, qui s’appuie largement sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes.
Car celui-ci dresse un tableau sombre sur les perspectives financières du système à horizon de 20 ans, «base commune» aux partenaires sociaux. Malgré la réforme de 2023, le déficit du système de retraites devrait ainsi atteindre 6,6 milliards d'euros en 2025, se «stabiliser» jusqu'en 2030, puis se dégrader rapidement, pour avoisiner 15 milliards d'euros en 2035 et 30 milliards en 2045. La réforme de 2023 «ne suffira pas» à répondre aux «besoins financiers du futur», a assuré le Premier président de la Cour, Pierre Moscovici.
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Âge de départ, durée de cotisations, montant des pensions... La Cour a chiffré les effets financiers de plusieurs «leviers» possibles, comme un éventuel gel de l'âge légal à 63 ans ou un passage à 65 ans... Mais sans calculer le retour aux 62 ans, principale revendication des syndicats. Jeudi, la leader de la CGT Sophie Binet entend «clarifier» : «l'objet (...) n'est pas le retour à l'équilibre» mais «l'abrogation» de la réforme, a-t-elle défendu. Cela coûterait «10 milliards d'euros» à horizon 2030, un chiffre «tout à fait soutenable», selon elle.
Pour financer, la CGT proposera de «faire l'égalité salariale» entre les femmes et les hommes, de mettre à contribution les revenus financiers des entreprises, la participation, l'intéressement... «Si on restaure un peu de justice», il n'y a «pas de problème de financement», a renchéri François Hommeril (CFE-CGC). «Ça va être trois mois compliqués» car «il y a des attentes énormes», a jugé dimanche la numéro 1 de la CFDT Marylise Léon sur France 3. Elle a appelé à «sortir les yeux des tableaux Excel» et «regarder la situation réelle des individus», notamment ceux aux carrières «pénibles». Le retour à 62 ans, «c'est la base des discussions», a-t-elle jugé.
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Le Medef refuse tout net cette idée. «Revenir sur l'âge légal aurait des conséquences financières très lourdes». «Nous ne serons pas complices de ce jeu de dupes», a prévenu son président Patrick Martin. Le président de la CPME Amir Reza-Tofighi a lui avancé plusieurs pistes - qui hérissent les syndicats - comme l'introduction d'une dose de capitalisation dans le système, l'indexation de l'âge de départ à la retraite sur l'espérance de vie, ou encore la possibilité de limiter la revalorisation annuelle des pensions. S'accorder sera d'autant plus complexe que l'exécutif, qui promettait de ne pas «interférer», multiplie les déclarations.
Abroger serait «extrêmement coûteux et on n'en a absolument pas les moyens», a tranché vendredi le ministre de l'Économie, Éric Lombard. Estimant que le niveau de vie des retraités est «en moyenne, supérieur» à celui des actifs, il s'est dit «plutôt» partisan d'une contribution accrue de leur part. La ministre Astrid Panosyan-Bouvet (Travail) a, entre autres, jugé que l'introduction d'une part de capitalisation «doit faire partie des discussions». Les ministres «ne sont pas dans la salle», a pointé dimanche Marylise Léon. Leurs déclarations pèseront-elles ? «Probablement», a-t-elle dit. «Est-ce que ça va nous faire changer de cap ? (...) Certainement pas.»
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