À Roland-Garros, Carlos Alcaraz triomphe au bout d’une finale d’exception

Roland-Garros s’était laissé gagner cette année par une douce nostalgie avec l’inauguration, lors du dimanche d’ouverture, d’une plaque commémorative sur la terre battue du court central en hommage aux 14 victoires de Rafael Nadal. Toute une époque, celle du Roi espagnol mais aussi de ses rivaux phénoménaux, Roger Federer et Novak Djokovic, et la question qui planait sur cette édition : se reproduira-t-il un jour, et avec quel héros, cet âge d’or de la petite balle jaune ?
En finale du tournoi parisien ce dimanche 8 juin, deux hommes ont apporté la plus magistrale des réponses à cette lancinante interrogation. Une nouvelle ère du tennis est bien ouverte, et de la plus sidérante des façons, avec un duel d’ores et déjà légendaire entre deux héritiers plus que dignes de leurs aînés. L’Espagnol Carlos Alcaraz et l’Italien Jannik Sinner se sont livrés un combat dantesque, 5 h 30 durant, la plus longue finale de l’histoire du tournoi, et si le premier l’a finalement emporté (4-6, 6-7, 6-4, 7-6, 7-6), ce sont véritablement les deux joueurs qui méritent le plus vibrant des éloges. Car cette finale connut d’incessants rebondissements, des coups faramineux, des moments d’une intensité folle.
Entre le numéro un mondial italien et son dauphin espagnol tenant du titre, l’affaire s’annonçait assez prometteuse, avec, au jeu des pronostics, un équilibre presque parfait. Les deux hommes s’étaient affrontés déjà à douze reprises, et Carlos Alcaraz menait 8-4, mais sur cette quinzaine, Jannik Sinner semblait survoler la compétition, à l’image de sa demi-finale victorieuse contre Novak Djokovic, formidable de pugnacité mais pourtant écarté en trois sets (6-4, 7-5, 7-6). La machine italienne paraissait parfaitement huilée. Carlos Alcaraz avait cependant les armes pour la détraquer, à condition de serrer son jeu et d’éviter ses fréquents passages à vide, ses moments où le talent semblait soudain déserter l’artiste.
Et dès le premier set, le débat s’est ouvert sur ce thème-là, de l’imperturbable face au fantasque. Avec un Carlos Alcaraz voulant d’emblée lâcher la foudre sur son adversaire, et un Jannik Sinner prêt à répondre à l’orage sans baisser la tête. L’Espagnol pouvait accumuler les balles de break, l’Italien repoussait les assauts, et finissait par rafler la mise dès sa première balle de set. Une entrée copieuse, mais dévoilant à peine l’appétit débordant des deux ogres.
Car le deuxième set allait bien vite révéler l’affolant menu du jour. Sinner qui semble s’envoler (4-1), mais Alcaraz qui revient dans la partie (5-5), pour finalement trébucher sur le tie-break, yo-yo émotionnel au bénéfice encore de l’Italien. Qui menant deux sets à zéro profitait de la faveur des statistiques. Ainsi mené, l’Espagnol dans sa carrière n’avait auparavant jamais réussi à renverser la vapeur (lors de huit matchs avec ce scénario). Sauf qu’une finale de Roland-Garros n’est à nulle autre pareille.
Et la partie alors de s’étaler sur une valse à plusieurs temps, chacun menant la danse à son tour. Jannik Sinner poursuivant son élan, puis son adversaire ressortant la tête de l’eau, pour soudain accélérer et reprendre l’avantage, l’Italien marquant enfin le pas, comme se permettant de décompresser après ses deux premières manches bien maîtrisées. Erreur : on ne laisse pas un joueur comme Alcaraz revenir dans le match quand l’estocade est possible. Dans le quatrième set, Jannik Sinner devait l’apprendre à ses dépens, en laissant filer trois balles de match qu’il ne devait plus jamais revoir.
D’autant que l’Espagnol égalisant à deux sets partout, l’Italien semblait accuser le coup physiquement. Le numéro un mondial n’est de fait revenu sur les courts que début mai, après trois mois de suspension pour dopage. Après plus de quatre heures de bagarre, le cinquième set paraissait du coup mal engagé, Carlos Alcaraz prenant le large d’entrée. Mais les deux hommes, jusqu’au bout, n’ont pas ménagé leur effort pour offrir un spectacle au suspense haletant. Proche de la rupture, Jannik Sinner s’est pourtant relancé, semblant même s’imposer sur la fin. Mais non, c’est encore Carlos Alcaraz qui arrachait un super tie-break. Dix points au bord du gouffre, il fallait bien ça pour le climax d’une après-midi hallucinante.
Sur ces derniers instants, l’Espagnol s’est fait intraitable, éteignant l’incroyable résistance de son adversaire. Il fallait un vainqueur : c’est lui. Mais pas de match de légende sans deux acteurs faramineux. Carlos Alcaraz et Jannik Sinner n’ont que 22 et 23 ans. Le premier compte désormais cinq tournois du grand chelem à son palmarès, le deuxième trois. Leur règne commence à peine. Vivement la suite.
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La Croıx