Aviron Bayonnais : André et Peyo Alvarez, finalistes de père en fils

En 1943, André Alvarez remportait au côté de Jean Dauger le dernier titre de champion de France de l’Aviron en première division. Trente-neuf ans plus tard, en 1982, son fils Peyo disputait et perdait l’ultime finale du club bayonnais
Crinière blonde et moustache éternelle, course chaloupée de l’attaquant insatiable, le ballon tenu à une main contre le maillot bleu blanc. Tout y est. Le portraitiste connaissait son modèle. Dans l’entrée de sa maison, à deux relances des 22 du stade Jean-Dauger, Peyo Alvarez s’affiche en peinture. Une œuvre au pastel très réaliste. « C’est mon père qui l’avait faite, avant la finale de 1982. Il avait aussi peint Pétrissans, Perrier, Bélascain, Peyrelongue, chacun avec son attitude caractéristique. Il y avait eu un concours, les tableaux étaient exposés dans les vitrines des commerces de la ville. Ceux de mon père étaient chez Larréguy, au bar du théâtre. »
Le cadeau n’avait pas suffi à porter le fiston et ses copains vers la victoire contre Agen (9-18). Le fil artistique et affectif entre les deux dernières générations dorées de l’Aviron s’était cruellement déchiré sur la pelouse du Parc des Princes. Trente-neuf ans plus tôt, en 1943, André Alvarez et la bande à « Jeannot » Dauger avaient conquis l’ultime Brennus en date du club basque. Face aux mêmes Lot-et-Garonnais : 3-0, essai de Pierre Larre. De ce troisième sacre, il ne reste plus de joueur en vie. Le capitaine Maurice Celhay, déjà du titre de 1934, s’est éteint en 1980 ; Dauger l’a rejoint en 1999 ; Alvarez père s’est intercalé au paradis des 15 en 2005.

Nicolas Mollo
L’arrière « aux cuisses énormes et à la vision du jeu en avance sur son temps » n’est plus là pour se raconter. Son fils Peyo est en mesure de légender les archives à sa place, même s’il a peu évoqué l’épilogue 1943 en lui-même avec son charismatique paternel.
L’histoire des Alvarez avec Bayonne commence au début du XXe siècle, quand Pierre, le grand-père originaire des Asturies, fuit dans la sous-préfecture avec sa famille : « Il ne voulait pas faire les cinq années de service militaire en Espagne ». Le rugby est encore loin. Pas la performance sportive : « Il a été aux JO de Stockholm en 1912, avec le huit de la Société nautique », révèle l’ancien demi d’ouverture. S’il reste fidèle à l’aviron, le menuisier-charpentier de profession délaisse ensuite l’Adour pour la Nive. Et l’Aviron.

Reproduction Nicolas Mollo
Début de la romance bleu et blanc. Toujours pas ovale. En 1923, André voit le jour. Pour lui, la terre est d’abord ronde. « Il était doué pour tout. Il faisait du foot. À 15 ans, il était déjà en équipe première. » C’est la guerre qui va changer la destinée familiale. « Il n’y avait plus de foot. Le rugby, lui, a continué. C’était sympathique, ils cassaient la croûte après les entraînements dans un contexte de camaraderie. Beaucoup y jouaient pour ça. Ces casse-croûtes, c’était les salaires des professionnels d’aujourd’hui. »
L’inventeur de l’arrière intercalé ?Les prédispositions du garçon l’amènent très vite en sélection Côte basque, puis dans la ligne d’attaque avec Celhay et Dauger. Champion en 1943, vice-champion en 1944, contre Perpignan (5-20). L’équipe de France lui tend les bras. Ce sera pour l’année suivante. Entre 1945 et 1951, il dispute 19 rencontres, dont deux sont passées à la postérité : la première victoire en Irlande (1946) et le premier succès en Angleterre (1951). Les preuves sont dans l’armoire à souvenir de Peyo : le ballon du match, arraché sur le gong à un Irlandais, et le trophée individualisé de Twickenham, avec André Alvarez gravé.
“Tout le monde dit que Villepreux est le premier à avoir parlé de l’arrière intercalé, mais ce n’est pas lui”, affirme avec fierté son rejeton, courrier à l’écriture courbée et schémas tactiques de son père à l’appui.
Mais c’est son empreinte sur le jeu qui le démarque peut-être encore plus de son époque : « On en était au football rugby. L’arrière devait prendre le ballon et taper. Mon père avait cette vision de l’arrière attaquant, qui venait s’intercaler dans la ligne. Ça ne plaisait pas à tout le monde. Sur le bord du terrain, on lui criait : ‘Alvarez, à ta place !’ Tout le monde dit que Villepreux est le premier à avoir parlé de l’arrière intercalé, mais ce n’est pas lui », affirme avec fierté son rejeton, courrier à l’écriture courbée et schémas tactiques de son père à l’appui.

Reproduction Nicolas Mollo
À l’issue de sa carrière, passée un an par le Racing et achevée à Tyrosse, où il prépare sa reconversion comme commercial dans une usine de chaussures, André Alvarez transmet son savoir à la jeunesse landaise : « Il était très pédagogue. Des joueurs m’ont dit un jour : ‘On a eu la chance d’avoir ton père comme éducateur. On n’avait pas les qualités pour être de bons joueurs, mais grâce à lui, on a compris le rugby’ ». Peyo aussi sans doute : « J’avais toujours droit au débrief d’après-match, même si c’était surtout collectif. »
Astérix est devenu TximistaLe parcours du futur ouvreur démarre là où s’est terminé celui de son père. À l’UST. « Astérix » se fait vite un prénom, au milieu des « irréductibles Gaulois ». Il est bientôt repéré par Roger Etcheto, le Panoramix bayonnais, qui le fait signer à l’Aviron en 1978, après un premier aller-retour frustrant en junior. Au parc des Sports Saint-Léon, Peyo devient « Tximista » (l’éclair), surnom donné par son regretté coéquipier Christian Bélascain. Ses appuis de feu et sa propension à jouer tous les ballons, même les plus improbables, constituent une parfaite rampe de lancement pour la ligne de trois-quarts internationale de l’époque : les Perrier, Bélascain, Pardo.
« On ne s’était pas préparé à faire une finale. C’était l’Aviron Bayonnais qui monte à Paris. Même les dirigeants. Ils nous avaient fait descendre au Petit Trianon à Versailles. On s’en serait passé. C’était le mauvais côté de la fierté bayonnaise »
L’Aviron régale. Entrée, plat. Dessert ? Arrive la finale de 1982 sur la table. « On était l’équipe qui avait marqué le plus d’essais et celle qui en avait encaissé le moins. On sortait d’une demi-finale magnifique. Tous les voyants étaient au vert, mais… » Feu rouge du 47. Des faits de jeu et une défaite. Sèche. Avec le recul de l’entraîneur qu’il deviendra ensuite, Peyo Alvarez y voit (aussi) le résultat d’une mauvaise appréhension de l’événement : « On ne s’était pas préparé à faire une finale. C’était l’Aviron Bayonnais qui monte à Paris. Même les dirigeants. Ils nous avaient fait descendre au Petit Trianon à Versailles. On s’en serait passé. C’était le mauvais côté de la fierté bayonnaise. »
Le respect des anciensPère et fils ne sont jamais revenus ensemble sur ce rendez-vous manqué. Un échange de regards a remplacé tous les mots. Et les maux. « Je me souviens juste qu’au moment où on avait été présentés à Mitterrand avant le match, je l’avais vu dans les tribunes, alors que je ne savais pas où il était assis » Peyo avait aussi joué avec son short et ses chaussettes. Les habits étaient un peu usés, pas le respect pour l’ancien. Pour les anciens. « Mon plaisir, ça a toujours été de reconnaître les gens avec qui mon père avait joué », confie le Bayonnais de 68 ans.
Le plaisir est-il encore partagé par l’Aviron pro ? Peyo Alvarez regrette la quasi-disparition des siens dans les bureaux. « Pour tout ce qui relevait de l’administratif, à mon époque, c’était tous des anciens joueurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » L’ex-dix bayonnais, passé ensuite par Bègles-Bordeaux et Biarritz avant de revenir en réserve à l’Aviron, a quand même transmis son vécu, il y a quelques mois, aux trois-quarts, à l’invitation du coach Ged Fraser. Il l’avait eu sous ses ordres lorsqu’il entraînait l’Aviron (2004-2006). « J’ai trouvé des joueurs respectueux. J’avais quand même essayé de faire ça avec une pointe d’humour. » Il connaissait également déjà certains éléments, les Rouet, Tiberghien, Martocq, encadrés en classe d’EPS à Louis de Foix, où il a enseigné pendant 40 ans.
Peyo Alvarez sera bien sûr au stade, ce vendredi soir. Un peu de son père André avec lui. Et d’une certaine idée de l’Aviron Bayonnais.
Peyo Alvarez Né le : 24 janvier 1957 à Bayonne (68 ans) Poste : demi d’ouverture Mensurations de joueur : 1,70 m ; 68 kg Parcours de joueur : Tyrosse, Bayonne (1978-1986), Bègles, Biarritz, réserve de Bayonne Parcours d’entraîneur : Hendaye (1992-1995), Tyrosse (1995-2000), France moins de 21 ans (2002-2004), Bayonne (2004-2006) Palmarès : finaliste du championnat de France (1982), vainqueur du Challenge Yves du Manoir (1980) André Alvarez Né le 26 mai 1923 à Bayonne (décédé le 28 août 2005 à 82 ans) Poste : arrière Mensurations de joueur : 1,73 m ; 77 kg Parcours de joueur : Bayonne (1939-1945), Racing (1945-1946), Tyrosse Palmarès : champion de France (1943), finaliste du championnat de France (1944) 19 sélections avec l’équipe de FranceSudOuest