Emmanuel Petit sur les commotions cérébrales : «C’est au joueur de se prendre en charge»

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Emmanuel Petit sur les commotions cérébrales : «C’est au joueur de se prendre en charge»

Emmanuel Petit sur les commotions cérébrales : «C’est au joueur de se prendre en charge»

ENTRETIEN - L’ancien footballeur champion du monde invite les sportifs victimes de commotions cérébrales à prendre cette blessure au sérieux et à quitter le terrain en cas de choc à la tête.

Même si ce n’est pas son sport, Emmanuel Petit ne pouvait pas manquer le grenelle dédié à la prévention des commotions cérébrales organisé par Provale, le syndicat des rugbymen professionnels, le 4 juin dernier. Champion du monde en 1998 avec les Bleus, passé par Monaco, Arsenal, Barcelone et Chelsea, l’ancien milieu défensif de 54 ans a un lien particulier avec le sujet.

Il s’explique par un drame familial survenu dans sa jeunesse, par la commotion qu’il a subie sous les couleurs du Barça, et par son rôle d’ambassadeur bénévole auprès de BrainEye, une application qui permet un suivi de la santé cérébrale. «C’est un projet de santé publique», souligne Petit, car les séquelles à long terme de ces chocs à la tête ne sont plus à prouver.

LE FIGARO. - Vous avez arrêté votre carrière de joueur professionnel en 2004. Les commotions cérébrales étaient-elles un sujet à l’époque ?

EMMANUEL PETIT. - Non, pas vraiment. Même quand j’ai eu une commotion en 2000 avec Barcelone, où je suis resté à l’hosto pendant 24 heures. Quand je me suis réveillé, je ne me souvenais même plus de ce qui s’était passé lors du match. La seule fois où on s’est intéressé à mon cerveau, c’est quand mon frère aîné est mort au tout début de ma carrière. J’avais 17-18 ans. Il est mort d’une rupture d’anévrisme sur un terrain de foot. Les IRM, les scanners se développaient. On m’a fait passer tout un tas d’examens. À mon époque, on n’en parlait pas du tout. J’ai eu 17 fois la tête ouverte, une dizaine de fois les arcades, j’ai eu 3 ou 4 fois le nez cassé, les pommettes écrasées. On ne m’a jamais parlé de commotions cérébrales.

Le sujet est-il traité différemment aujourd’hui ?

C’est de plus en plus pris en considération. Des protocoles sont mis en place, que ce soit au niveau des ligues ou des fédérations. Ça a évolué. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Il y a également une prise de conscience du joueur qui doit être déterminante. Il doit se responsabiliser. Mais je pense aussi que ceux qui contrôlent le jeu doivent voir toutes les personnes qui œuvrent dans ce domaine pour partager les outils. Il s’agit simplement d’aider les staffs médicaux, et surtout de protéger la santé des joueurs. Il y a des choses qui sont faites depuis 20 ans, mais je pense qu’on peut faire beaucoup mieux.

Les graves blessures, on les voit. Les blessures invisibles, souvent, on n’en parle pas. Il n’y a pas d’éducation à ce niveau-là dans le football.

Emmanuel Petit

Quels sont les symptômes que vous avez expérimentés ?

Des pertes de mémoire... (Il s’interrompt) Je vous rassure, je me fais checker tous les mois, je n’ai pas de problèmes neurologiques. Je croise les doigts... Mais rien n’explique les migraines que j’ai une fois par mois et qui durent plus de 24h, même en prenant des médicaments toutes les 4h à forte dose. La lumière me fait extrêmement mal aux yeux, je suis obligé de me mettre dans une pièce sombre, sans bruit. Il n’y a que la glace qui arrive à me calmer.

En parlez-vous avec des anciens coéquipiers ?

Non, on n’en parle pas. Il n’y a pas d’éducation à ce niveau-là dans le football. Les graves blessures, on les voit. Les blessures invisibles, souvent, on n’en parle pas et on ne communique pas dessus. Ce n’est pas la priorité des clubs non plus, bien que de plus en plus de matches soient arrêtés pour des chocs à la tête. Nous (les athlètes victimes de commotions), on s’adresse aux organisations sportives, aux ligues, aux fédérations, aux organismes européens et mondiaux dans tous les sports, mais on s’adresse essentiellement au sportif lui-même. Et à monsieur tout le monde. C’est à lui de se prendre en charge.

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Des pays ont interdit le jeu de tête chez les jeunes footballeurs...

(Il coupe) Tu ne pourras pas. Tu ne pourras pas interdire le jeu de tête. Certes, tu peux leur dire : «Si vous n’êtes pas obligé d’utiliser la tête, ne le faites pas.» Ou tu peux très bien jouer avec un ballon en mousse aux entraînements quand tu es jeune. Avec les moyens sophistiqués qu’on a pour transformer les ballons et la matière, on peut très bien imaginer un ballon avec une surface plus adaptée pour la jeunesse. Dans les années 80, quand il pleuvait, le ballon était gorgé d’eau. Quand tu étais gamin et que tu faisais une tête, tu étais étourdi pendant dix secondes.

On peut mettre des choses en place, mais de là à changer les règles... Je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Tu ne peux pas changer les règles de la boxe, ni du rugby, ni du football. Les empêcher de faire des têtes alors que ça fait partie du jeu... En revanche, tu peux donner des outils pour permettre de détecter rapidement les commotions cérébrales, donc de prendre en amont les problèmes cérébraux.

Il reste difficile pour un joueur d’accepter de sortir en cas de choc à la tête, notamment car la notion de sacrifice est ancrée dans le sport...

Tous les sports ne sont pas à la même enseigne. Le foot est hyper protégé à ce niveau. Une minorité de joueurs gagnent très très bien leur vie, donc ils sont protégés financièrement quoi qu’il arrive, d’autant plus que des mutuelles entrent en jeu en cas d’arrêt. Les clubs continuent à leur verser un salaire. Dans d’autres sports, au bout d’un moment, ils ne sont plus payés.

Et il y a aussi le phénomène de se dire : «Si moi je décide de me prendre en charge, je refuse de jouer.» Les joueurs le gardent souvent pour eux parce qu’ils ont peur de se pénaliser. Ils s’imaginent très bien qu’avec la concurrence, si toi tu ne joues pas, c’est un autre qui va prendre ta place.

lefigaro

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