« Ils veulent tous être comme Léon Marchand et travailler avec Bob Bowman » : ces agences qui facilitent l'exil américain des nageurs français
Cela existe dans tous les sports, et même depuis des années dans la natation. D'anciens champions de la trempe de Romain Barnier, Frédérick Bousquet ou Sébastien Rouault ont un jour traversé l'Atlantique pour signer dans des universités américaines. Pendant un an, un certain Xavier Marchand, vice-champion du monde en 1998, s'était également expatrié aux Etats-Unis avec sa compagne Céline Bonnet et leur petit Léon, alors âgé de deux ans. Deux décennies plus tard, Léon Marchand est une source d'inspiration incroyable. Depuis que le Toulousain, qui s'était engagé pour Arizona State dès l'été 2021 et s'entraîne désormais à Austin, a conquis quatre médailles d'or individuelles et une de bronze avec le relais 4x100m 4 nages aux Jeux Olympiques de Paris, on a constaté une vague exponentielle de Français quittant l'Hexagone pour les Etats-Unis.
D'une ou deux dizaines, ils sont désormais plus de cent à nager en bassin de 25 yards (soit 22,86m), la mesure propre aux Américains. « On subit ça et on doit réagir structurellement », convient Denis Auguin, DTN adjoint. Car les motivations de ces exilés volontaires sont multiples, mais résident aussi dans cette opportunité d'intégrer des groupes, de vivre de grosses compétitions universitaires par équipe, ce qui n'existe pas en France, et n'est surtout pas dans sa culture.
Alors que débutent samedi les Championnats de France élite à Montpellier, étudier le phénomène semble d'autant plus intéressant que la plupart des jeunes prétendants passent désormais par des agences qui jouent les intermédiaires avec les universités US. En France, elles sont une demi-douzaine. « A-t-on vraiment besoin de leur service, ou n'est-ce pas 'toobidon.com' ? », interroge Mary-Ambre Moluh, sprinteuse et dossiste de 19 ans, qui a disputé les relais 4x100m et 4x100m 4 nages aux Jeux de Paris. Une question qu'elle nuance très vite en évoquant son propre parcours ou celui de certains compatriotes.

La dossiste française Mary-Ambre Moluh est partie aux États-Unis l'année dernière. (S. Boué/L'Équipe)
Depuis longtemps, la jeune femme voulait poursuivre ses études aux États-Unis, elle a basculé l'an dernier. Mais sans avoir recours à ces agences. « On n'a pas besoin d'intermédiaire quand nos performances nous mettent en avant, croit-elle. Je me suis donc inscrite moi-même sur swimcloud (une plateforme qui met en relation nageurs et universités, NDLR), des universités en ont été informées mais c'est moi qui les ai autorisées à me contacter par WhatsApp ou Instagram... Ils ont tendance à vendre tous du rêve, mais j'ai fait le tri. » Et choisi de rallier la prestigieuse université de Berkeley, où elle côtoie aussi le dossiste Mewen Tomac, le sprinteur Nans Mazellier ou la papillonneuse Lilou Ressencourt.
Cela dit, Mary-Ambre Moluh avoue qu'en fin de processus, elle a galéré avec la dimension administrative et s'est rapprochée d'une agence qui l'a aidée pour son dossier générique. « Elle avait peur de commettre des erreurs, souligne Martin Casse, directeur d'Elite Athletes, qui a lui-même étudié au Texas. On est leader en France, et cette année, on va envoyer un peu plus de 350 jeunes. Mais si on cherche à développer la natation, ce n'est pas notre sport principal. » L'agence a placé près de 200 joueurs de foot, 90 athlètes et 60 joueurs de tennis. « On regarde le package dans sa globalité : le niveau sportif, l'âge, le potentiel, mais aussi le niveau scolaire. On s'occupe de profils allant de Mary-Ambre ou Clément Ducos (4e sur 400m haies aux JO 2024, NDLR), à des jeunes qui partent en division 2 ou des community college. On essaie de répondre aux demandes, que le sportif ait un niveau régional ou olympique. »
Le plus gros obstacle, c'est l'anglais. Cela stresse beaucoup les athlètes, surtout à l'instant de passer les tests
Simon Botton, créateur de BSathletics
C'est justement le constat qui interpelle dans la natation : « Il y avait pas mal de demandes avec tous types de profils, mais on remarque depuis l'an dernier qu'elles viennent souvent de nageurs ayant la possibilité de briller au niveau international et sont déjà dans les équipes de France jeunes. Ceux-là avaient jusque-là tendance à rester en France », explique Valérie Inghels d'UniAthlete. Alors nageuse, elle s'était adressée à une agence belge pour partir aux États-Unis en 2012. « Même si je reste très contente de l'expérience, je n'avais pas été accompagnée comme je l'aurais voulu, précise-t-elle. Suite à cette expérience personnelle, j'ai créé l'agence avec un suivi plus personnalisé en 2018. » Selon elle, les demandes ont doublé, voire triplé. « Ils veulent tous être comme Léon Marchand, et travailler avec Bob Bowman », résume Anne Lepesant.
Américaine, elle ressemble davantage à un électron libre indépendant, même si elle travaille avec un partenaire qui possède la franchise du PSG en Californie. Plus jeune, elle a joué au tennis pour l'université de Princeton, a débuté par une carrière dans la finance. Mariée à un Français, ses quatre filles ont nagé et elle a fini par arrêter la finance pour assurer leur recrutement universitaire. Amie de la famille, elle s'est aussi occupée de Clément Lefert après les Jeux de Londres et son titre olympique avec le relais 4x100m. Depuis, plusieurs clients du club de Nice l'ont approchée, à l'image de Lilou Ressencourt, relayeuse olympique à Paris, et qu'elle a donc placée à Berkeley. « Je suis axée sur le haut de gamme académique, ce qui me distingue un peu, ajoute Anne Lepesant. Et comme je collabore depuis douze ans avec Swimswam (un site spécialisé, NDLR), tous les coaches me connaissent et me font confiance. » Ils n'ont pas hésité lorsqu'elle a proposé la papillonneuse originaire de Tarbes, qui a déménagé à Nice à 14 ans.
« J'ai toujours su que je partirais étudier à l'étranger, dans un pays anglophone. Je l'avais verbalisé à mon coach à 15 ans, j'ai failli partir à 18, raconte Lilou Ressencourt. Mais je voulais faire un diplôme en France et les Jeux de 2024 arrivaient à grands pas, j'ai donc reporté mon départ à 21 ans. » En janvier 2023, dernière année de sa licence (DUT GEA gestion des entreprises et administration), elle a entamé les démarches, s'adressant à Anne Lepesant que son entraîneur, Fabrice Pellerin, connaissait. Interdite par le tarif - « Je suis chère, probablement le double des autres agences », reconnaît l'intéressée-, la nageuse tergiverse un peu : « Je dois avouer que, du début à la fin, j'ai été très bien accompagnée, alors que des amis m'ont dit qu'avec une agence, ils étaient souvent laissés à l'abandon une fois placés. »
Evidemment, les dites-agences affirment le contraire. Et notamment Simon Botton, qui a créé BSathletics en 2022, et s'est associé au sortir des Jeux avec Clément Secchi, son ami d'enfance et médaillé olympique à Paris avec le relais 4x100m 4 nages dont il a nagé les séries. « Je ne nous considère pas comme une agence, j'avais l'envie de créer une famille », soutient cet ancien sociétaire du Cercle des nageurs de Marseille qui, comme nombre de ses comparses, y compris Secchi, a souvent dû tâtonner dans les méandres des universités nord-américaines, lorsqu'il y a étudié.
« Moi, j'ai une connaissance du système académique. En dehors de l'agence, je suis directeur d'un centre de recherche et de laboratoire en criminologie et en cybercrim à Georgia State University. Clément, lui, connaît l'aspect sportif, tous les entraîneurs, les universités. Comme la natation est un domaine qu'on maîtrise tous les deux, quand on combine, cela permet de donner aux athlètes et leurs familles, voire les entraîneurs en France, toutes les infos pour qu'ils puissent décider. »

Clément Cecchi s'est associé avec son ami d'enfance Simon Botton. (S. Boué/L'Équipe)
Pour lui, le premier écueil tient à l'éducation en France : « Le plus gros obstacle, c'est l'anglais. Ça stresse beaucoup les athlètes, surtout à l'instant de passer les tests. » Plusieurs ont ainsi été recalés, alors que leurs niveaux scolaire et sportif auraient suffi pour obtenir des bourses. « Quand je fais une présentation, je rappelle qu'il faut lister quatre choses avant de s'engager : ce que vous cherchez académiquement, sportivement, financièrement, et géographiquement », pose Anne Lepesant. À partir de là, tous évaluent donc l'aspect scolaire, le potentiel sportif, les besoins financiers. Beaucoup de nageurs peuvent prétendre à une bourse complète, mais pas mal devront payer une partie de leurs études. Quant à la rémunération des agences, elles s'échelonnent de 3 500 à près de 10 000 euros selon les formules.
« Quand je fais une présentation, je rappelle qu'il faut lister quatre choses avant de s'engager : ce que vous cherchez académiquement, sportivement, financièrement, et géographiquement »
Une fois qu'un accord est trouvé avec une université, que la bourse est négociée, il convient d'affiner les démarches administratives : l'inscription à la fac, la traduction des bulletins scolaires, la procédure d'obtention d'un visa, les conditions d'éligibilité pour pouvoir disputer les compétitions universitaires, jusqu'aux vaccins requis, et qui ne sont pas forcément les mêmes. Les tracasseries peuvent se multiplier et la réussite du projet dépend justement de la capacité du nageur à se sortir des pièges, donc de l'accompagnement qu'il paie. Un exemple avec Mary-Ambre Moluh : « A l'année, les études à Berkeley coûtent 84 000 dollars, sans compter l'hébergement ou la nourriture. Au départ, on m'a dit qu'on m'offrait une bourse à 100 %. Je lis les alinéas et comprends qu'ils m'arnaquent : la première année, ils paient la scolarité et je suis assignée dans un logement et nourrie, mais les trois autres années, ils financent la scolarité et 15 000 dollars à l'année destinés au logement et à la nourriture. Mais avec cette somme, tu te rends compte que tu ne vas pas loin, mon loyer étant de 1 800 dollars pour une coloc'à quatre, et alors que le panier pour un mois est de 300 dollars... Bon, je leur ai dit que ce n'était pas assez, et ils m'ont augmenté, mais j'imagine que tout le monde n'a pas ce luxe. » C'est une évidence.
Reste alors cet aspect essentiel : aux États-Unis, le double cursus est une réalité. « Les jeunes Français qui partent ont la tête sur les épaules et sont intéressés par les études, observe Martin Casse. On est étudiant autant qu'athlète. Et si on ne va pas en cours, qu'on ne valide pas ses classes chaque semestre avec la moyenne, l'aventure peut s'arrêter, l'athlète peut être sorti de l'équipe et se rendre inéligible à la NCAA. » Bien sûr, il y a donc des échecs. Mais, dans l'ensemble, les avis semblent favorables. « C'est le meilleur choix que j'ai fait », promet même Lillie Freulon, qui a grandi en Nouvelle-Calédonie avant de débarquer en métropole où ses grandes qualités chez les jeunes n'ont pas suffi à ce qu'elle perce, et qui a rallié les États-Unis à la rentrée dernière. Et si elle ne va pas disputer les Championnats de France, elle entend bien prolonger l'aventure.
L'Équipe