Roland-Garros 2025 : Carlos Alcaraz renverse Jannik Sinner au terme de la plus longue finale de l’histoire du tournoi
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«Tu es clairement le plus fort sur terre battue.» Les mots sont de Jannik Sinner pour Carlos Alcaraz. Ils datent de début mai, à l’issue de la finale à Rome. Ils résonnent plus vrais que jamais, ce dimanche 8 juin. Pourtant, l’Italien n’a jamais été aussi près de se contredire, et on a bien cru que la hiérarchie sur la surface allait vaciller, le trône de l’Espagnol avec, tant le graal a semblé longtemps promis au numéro un italien. Dans une dramaturgie à couper le souffle, Alcaraz, dans les cordes après deux sets, est allé puiser on ne sait où, sauvant jusqu’à trois balles de match, pour finir par renverser tout le Chatrier, et conserver sa couronne au bout de lui-même, après 5 h 29 minutes de jeu.
Cette finale aux proportions homériques, la plus longue de l’histoire à Roland, ne pouvait que se dérouler ainsi. Elle avait la saveur d’un dessert sucré. Elle était la cerise posée sur une quinzaine parisienne dont on promettait qu’elle se terminerait ainsi. Avec ce «Sincaraz» volume 12, premier du genre en finale de Grand Chelem. Une incongruité, tant les deux héros piétinent le circuit ces derniers mois. Depuis l’Open d’Australie 2024, ils se sont appropriés les cinq derniers Majeurs. Chacun de son côté.
Depuis près d’un an, le tenant du titre espagnol demeure même le seul à connaître la recette pour venir à bout de l’invincible italien, deux défaites sur les 49 dernières rencontres, à chaque fois contre le Murcien. La dernière en deux sets début mai en finale à Rome, donc. L’irréductible tenant du titre face au boss de fin. Un synopsis au plus-que-parfait. En bande-son, le Harder Better Faster Stronger des Daft Punk, joué durant le cérémonial d’avant-match, présageait bien le scénario à venir. D’abord saccadé, le blockbuster s’est élevé crescendo, set après set. Pour verser dans un thriller aux rebondissements délirants, à mesure que pointait le dénouement.
A l’image du premier jeu, douze minutes, il n’y a pas eu de tour de chauffe. A se demander si l’épilogue serait bien pour ce dimanche. En trois minutes, Alcaraz s’était déjà procuré une balle de break, ce qui avait demandé 1 h 30 à Novak Djokovic le tour d’avant. Le plan de bataille n’a pas été très surprenant côté Sinner. Très simple dans la théorie : zéro amortie, zéro slice, que des ogives propulsées depuis les bâches vert foncé siglées BNP Paribas. Ça n’a pas super bien marché au début, la machine transalpine a paru crispée. Les conditions très venteuses, sans doute. Alcaraz aurait dû en profiter. Mais hormis un break vite réparé par Sinner, l’Espagnol a mal négocié ses rares opportunités, notamment sur les deuxièmes balles adverses. Pourtant, c’était encore accroché.
Jusqu’à cette interruption en fin de premier set : Alcaraz a eu un problème avec l’une de ses lentilles. Après ça, il n’a plus rien vu pendant un bon moment sur le court. Vraisemblablement enquiquiné lui aussi par les bourrasques récurrentes, le numéro 2 a eu toutes les peines du monde à s’ajuster, notamment dans la diagonale. Sinner n’est pas vraiment allé chercher le premier set. Alcaraz le lui a offert enrubanné de trois jolies fautes directes.
Globalement, l’Espagnol a proposé une stratégie périlleuse. Il a voulu engager le bras de fer de loin avec l’Italien. Sauf qu’à ce jeu-là, Sinner est un petit cran au-dessus. Il n’est pas interdit de penser que le Murcien l’a compris à 2-0 30-15 dans la deuxième manche. Quand ce fut le cas, on a arrêté d’entendre les «out» incessants des juges de ligne. Breaké, il est revenu comme un diable sur l’Italien à 4-5, et sur sa seule occasion, il a raccroché les wagons, rassurant les spectateurs inquiets d’une joute unilatérale. Mais même en variant, par exemple avec ses fameuses «moonballs», ces longues et hautes balles en cloche distillées çà et là pour tenter d’enrayer l’implacable mécanique adverse, le champion 2024 a donné l’impression d’avoir un coup de retard sur son rival dans le jeu décisif, encore et toujours raflé par le Tyrolien.
Jamais Alcaraz n’était revenu d’une partie où il était à la traîne de deux sets à rien. Au meilleur des cinq sets, «je sais que j’ai le temps et que je suis mentalement assez fort pour m’en remettre», rappelait-il pourtant en conférence de presse. Le public y a cru lorsque, après une course-poursuite effrénée dans le troisième acte, Alcaraz a appuyé sur la cinquième quand Sinner était revenu dans ses rétros. Un événement : Sinner restait sur 31 sets remportés de suite en Grand Chelem. Le rapport de force s’équilibre alors. Parce qu’Alcaraz est têtu : il a tapé encore plus fort. En réglant la lunette, cette fois. Alors, les échanges sont devenus d’interminables périples. Avec une seule question, lancinante, avant chaque point : qui va faire reculer l’autre en premier ?
«Vous êtes trop forts les mecs», hurle un type en tribune à 2-2, après un énième rallye suffocant. Il n’avait pas vu la suite : une lutte permanente, un mano a mano de chaque instant, où chaque point coûte plus cher que le précédent. Et ainsi de suite. Sinner va en ruminer trois pendant très longtemps. A trois reprises il a eu l’occasion de s’adjuger le trophée. Il n’en aura plus. En arrachant une mise en jeu inespérée. Alcaraz est entré pour de bon dans l’impénétrable cerveau du Transalpin. Débreak, jeu décisif, set.
Puis la course en tête dans l’ultime manche après un nouveau break. Alcaraz a tellement bien manœuvré, dosant ses amorties au millimètre, qu’il a peut-être réussi la plus belle de toutes les prouesses, dimanche : faire sortir Sinner de ses gonds. A 3-2, on le voit agacé, agiter les bras en direction de l’arbitre de chaise. Usé - il n’a jamais remporté un marathon de plus de quatre heures – l’Italien s’est pourtant recentré, démené comme un beau diable, à l’image de cette contre-amortie venue d’ailleurs à 4-5, pour reprendre l’engagement de son opposant.
En vain : Alcaraz a bouclé la donne en très grand, stratosphérique dans le super-tie-break. Jusqu’à ce dimanche, jamais Sinner n’était reparti tête basse d’une finale de Grand Chelem. Il fallait donc ça pour faire chuter l’insubmersible humanoïde italien. L’emmener au bout du bout, l’user jusqu’à la dernière pile. Alcaraz non plus n’a jamais perdu en finale d’un Majeur. Il en est désormais à cinq, dont deux ici, à Paris. «Ça va être un bon dimanche pour les fans de tennis», avait-il promis vendredi. Quel dimanche ce fut.
Libération