La manufacture Poilâne ferme ses portes pour cause de non-conformité sanitaire

Vendredi 30 mai, la manufacture Poilâne, boulangerie-pâtisserie familiale réputée pour son pain façonné à la main, a été fermée d’urgence sur ordre de la préfecture. Deux jours plus tôt, un contrôle sanitaire avait révélé de graves manquements d’hygiène. Située à Bièvres (Essonne), l’usine approvisionne trois des cinq boulangeries parisiennes de Poilâne, ainsi que des restaurants et autres enseignes de la grande distribution comme Monoprix ou Auchan. Symbole du pain au levain à la française, Poilâne est l’une des rares boulangeries parisiennes dont la notoriété dépasse les frontières, ses produits s’exportant jusqu’aux Etats Unis. C’est dans ce contexte que la manufacture historique de Bièvres a été contrainte de cesser son activité, et ce jusqu’à nouvel ordre.

Présence de rongeurs morts et de leurs déjections, d’insectes volants et de leurs larves… Le portrait dressé par la direction départementale de la protection des populations (DDPP), rapporté par le Parisien, est accablant. Un constat bien éloigné de l’image défendue par Apollonia Poilâne, PDG de l’entreprise familiale. Celle que Libération avait rencontrée dans le cadre d’un portrait en septembre 2024 revendique un attachement fort aux traditions du levain «chef», introduit par son grand-père en 1932, et affirme vouloir utiliser des farines «les plus propres possibles». La préfecture de l’Essonne met pourtant en évidence de graves non-conformités en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire. Les quatre agents présents lors du contrôle ont notamment signalé «l’absence de tenues adaptées pour l’ensemble du personnel, l’état de très grand désordre, d’encombrement et de saleté générale des locaux et des équipements […], les mauvaises conditions de stockage des denrées […] souillées par les déjections et l’urine de rongeurs».

Selon des informations rapportées par le Parisien, des représentants du personnel avaient sonné l’alarme à cinq reprises au moins, entre décembre 2024 et mai 2025. Des vidéos tournées sur place montrent, entre autres, des souris grimpant sur des sacs de farine. «Un plan de nettoyage strict, comme c’est l’usage dans notre profession» est en vigueur dans l’usine, fait valoir la PDG au Parisien, ce que confirme l’entreprise auprès de Libération.

Si la manufacture reste fermée jusqu’à nouvel ordre, sans date de réouverture annoncée, «le sujet est pris très au sérieux», précise le service communication de Poilâne. Celui-ci indique qu’une entreprise spécialisée est intervenue le 2 juin, pour un nettoyage étalé sur plusieurs jours. En attendant, la production est partiellement relocalisée dans les deux boutiques parisiennes situées boulevard de Grenelle (XVe arrondissement de Paris) et rue du Cherche-Midi (VIe arrondissement).

Sur place, la seconde boutique continue d’accueillir des clients. Une odeur de pain chaud flotte et les étals sont garnis, pourtant la fréquentation reste faible à l’heure du déjeuner. Pascal, 72 ans, a fait le trajet à vélo de Champigny-sur-Marne. «Ce matin, j’ai fait deux Monoprix en banlieue parisienne, il n’y avait rien». Fidèle à l’institution boulangère depuis quarante ans via la grande distribution, il dit avoir interrogé un employé chez Monoprix, sans obtenir de réponse. Lorsqu’on lui rapporte les raisons de la fermeture de la manufacture, il marque un temps d’arrêt : «J’aurais jamais imaginé une chose pareille.»

L’incident survient alors que l’entreprise sort tout juste d’une procédure de sauvegarde (octobre 2022-février 2024). Selon Apollonia Poilâne, la situation se stabilise pour l’entreprise de 114 salariés. Mais le choc est double : économique pour l’entreprise, et symbolique pour cette maison fondée en 1932, longtemps érigée en modèle du pain «à l’ancienne».