Haute-Vienne : le « village » pour seniors où il fait bon vivre

Isabelle et David Chantereau ont imaginé, il y a un an, un village réservé aux seniors à Saint-Maurice-Les-Brousses, en Haute-Vienne. Un lieu pour briser la solitude et faire face à la dépendance imposée par l’âge. Un concept sécurisé avec services qui n’en a pas les apparences
10 heures, vendredi 2 mai, Domaine du Lavoir à Saint-Maurice-les-Brousses (87). La place du village qui fait aussi office de boulodrome est vide pour le moment et les lampions éteints quand le soleil, lui, a sorti ses pleins feux. La roseraie est encore endormie et les bancs qui la bordent attendent leurs visiteurs.
Guy, 92 ans, sort de sa maisonnette, bonne humeur en bandoulière, le sac de courses sous le bras, et s’invite à la table de jardin commune pour un petit café matinal. Il bavarde avec David, gérant du site. Guy attend Isabelle, épouse de David, elle aussi gérante, qui va l’accompagner au petit supermarché du village à 1,5 kilomètre de là. Peut-être que Jeanine, la voisine, sera de la partie quand d’autres ont juste passé commande.
Le petit village senior sort de sa torpeur, les portes s’ouvrent, les cheveux gris pointent leurs épis. Valérie, seule salariée du domaine, vérifie si Serge a bien reçu la visite du médecin généraliste comme prévu.

GUILLAUME BONNAUD/SO
Un an que le Domaine du Lavoir a ouvert ses portes et accueille sept habitants dans six logements. Ici, être senior est un préalable, bien portant comme dépendant (1). On ne parle pas d’EHPAD, de résidence seniors mais bel et bien de village… à taille familiale.
Au commencement, il y a un couple de quadras : David et Isabelle Chantereau. Le premier est chef d’entreprise dans la promotion immobilière, accumulant 70 heures par semaine, 100 000 kilomètres par an avec un regard plutôt épanoui sur son métier. La seconde, cadre de santé dans la fonction publique hospitalière, dont 20 ans dans des Ehpad, vit de plus en plus mal le manque de moyens humains et la maltraitance qui en découle tant pour les personnels que pour ceux dont ils ont la charge. Elle rêve d’un autre devenir pour ces seniors que la solitude ou le début de la dépendance pousse hors de chez eux.
On souhaitait construire un projet résolument humain et intimiste, sur le mode ambiance de vacances, avec de la végétation, de la pierre, du bois. »
« À ce moment-là, mon père tombe malade. Je prends la réalité du parcours hospitalier en pleine figure… jusqu’à son décès quelques mois plus tard », souligne David qui décide de suivre son épouse dans sa quête d’un meilleur pour les personnes âgées. « On souhaitait construire un projet résolument humain et intimiste, sur le mode ambiance de vacances, avec de la végétation, de la pierre, du bois… l’idée d’un village sécurisé avec des services, des petites maisons, des espaces communs, est née. »

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Les premières pierres et charpentes ont été posées en janvier 2024, le couple Chantereau a dû lâcher toutes ses économies, les banques trouvant le pari trop risqué. En juin, le Domaine du Lavoir – à quelques kilomètres de Limoges, a accueilli ses premiers « villageois ». Et de suite a fait le plein…
Ici, les maisonnettes abritent deux logements de 45 m² chacun, avec salle de vie et cuisine ouverte, une chambre de 13 m² et une vaste salle de bains accessible tout en étant chaleureuse, loin de l’aseptisation clinique d’une salle d’eau d’hôpital. Sans parler du jardin de 100 m² et de la terrasse, pour chaque logement. Ici, on loue, 1 750 euros le mois, services compris…
Quels services ? Isabelle gère la coordination des soins avec les médecins généralistes, les cabinets d’infirmiers, les associations d’aides à domicile. David se charge de l’accompagnement administratif. Quand arrive le spectre de la sacro-sainte déclaration de revenus qui provoque des tachycardies aux cœurs fragiles, David est là en « secouriste » des cases à remplir.
Également comprise dans les services la petite montre que porte chaque villageois du domaine au poignet, autrement dit la téléassistance qui permet d’avertir si chute, ou malaise. Bernadette, l’épouse de Guy, est tombée le 1er mai. C’est sa fille qui vit à quelques petits kilomètres de là qui est passée pour la relever et vérifier qu’il ne s’agissait que d’un bobo.
« En semaine, jour et nuit, c’est nous, les gérants qui sommes avertis en premiers. Le week-end et les jours fériés, ce sont les familles et si elles ne répondent pas, nous prenons le relais », ajoute David qui résume les services proposés à ceux d’une conciergerie classique : aller chercher des médicaments à la pharmacie, accompagner à un rendez-vous médical chez un spécialiste à Limoges ou une promenade, aller faire réparer un appareil auditif, faire du petit bricolage dans le logement et du jardinage ou tout autre chose.

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Enfin, il y a les animations. Dans la grande salle commune, : six tables avec fauteuils pour les as du scrabble ou de la belote, ou pour les déjeuners en famille, un billard, un espace salon avec télé où Jeanine et Thérèse aiment à regarder de concert leur émission préférée, une cuisine équipée « comme à la maison » dans laquelle les villageois se retrouvent tous les lundis pour une tambouille collective où chacun met la main à la pâte.

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Quand on ne chante pas avec Valérie qui bat la mesure ! Des liens ont été également noués avec la crèche et l’école de la commune, pour des chasses aux œufs ou des sapins de Noël intergénérationnels. Des sorties « restos » sont proposées dans le restaurant d’application du lycée hôtelier limougeaud.
Restent ensuite les services à la carte, payants : la prestation capillaire avec une coiffeuse professionnelle qui a son coin tout équipé sur le domaine, ménage, blanchisserie, soins esthétiques. Sans oublier le portage de repas. Fidèles à leur ambition de sortir des cadres trop aseptisés des établissements de soins, David et Isabelle n’ont pas fait appel à un prestataire de restauration collective, mais à un restaurant installé dans une commune voisine. Entrée, plat et dessert, « maison » avec produits frais et de saison pour 10 euros.

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Et il y a surtout ce qui ne se décrète pas mais qui se vit. Isabelle et David ont voulu faire de ce domaine, un endroit chaleureux où le senior ne se cogne plus contre une solitude imposée par l’âge, par la perte de mobilité ou d’autonomie. Alors oui, le départ est parfois douloureux quand il faut lâcher la maison de toujours et les souvenirs qui vont avec. Mais Bernadette, Guy, Jeanine, Thérèse en témoignent : ici, ils retrouvent une vie sociale, sécurisée et une prise en charge bienveillante. Les familles respirent, rassurées…
Serge, ancien boucher, arrivait d’Ehpad, et il n’avait plus goût à grand-chose. Il a remis les mains dans la cuisine et va en fauteuil roulant à l’espace sport du domaine. Isabelle et David eux aussi ont changé de vie. Ils ne gagnent pas les salaires d’avant, mais trouvent du sens et en construisent. Six logements supplémentaires sortent de terre. Ils n’iront pas au-delà de vingt. Pour le bien-être de tout le monde. Cette fois, les banques suivent…
(1) Seules les personnes souffrant de maladies cognitives ne peuvent être accueillies au Domaine du Lavoir.
Le domaine du Lavoir, 8 rue des Écoles, à Saint-Maurice-les-Brousses (87). Tél. 0 745 062 498.
« Ma mère vit une seconde vie ici » Jeanine est la deuxième villageoise du domaine. Elle est arrivée en juillet 2024, le poignet dans le plâtre, le bras en écharpe. Jusqu’alors, elle vivait dans sa maison, dans une commune voisine. Elle avait perdu son mari et se retrouvait un peu perdue dans cet espace à étage devenu trop grand pour une personne. Et il y a eu cette chute. Le poignet cassé… sa fille Martine s’inquiète. « Nous sommes allés chez le médecin qui connaissait Isabelle Chantereau et qui nous a parlé de ce projet. Nous sommes venus visiter avec Martine. Tout était en chantier. Je ne me suis pas vraiment projetée… » lâche la retraitée. Pourtant, elle accepte de passer dans un logement de 45 m2. Et maintenant ? « Ma mère vit une seconde vie ici ! Avant elle s’ennuyait, maintenant il nous faut prendre rendez-vous avec elle pour la voir ! »Guy le martèle : « Jeanine elle est très chouette et toujours prête à rendre service ! » Elle a retrouvé Thérèse qui travaillait il y a plusieurs dizaines années dans la même usine de vêtements qu’elle… La solitude a été balayée. Le 1er mai, elle avait des amis à déjeuner chez elle. Le week-end prochain, c’est dans la salle commune qu’elle devrait recevoir ses enfants et ses petits-enfants. Et si Bernadette, Guy, Serge ou un autre villageois s’invite pour le café, il sera le bienvenu. C’est un peu la « famille ».
GUILLAUME BONNAUD/SO
SudOuest