Les psychédéliques arrivent dans les hôpitaux français, un chercheur en épistémologie décrypte ces thérapies longtemps marginalisées

Ni une panacée ni une illusion, mais un outil puissant, qui nécessite un encadrement rigoureux. Les thérapies assistées par psychédéliques (psilocybine issue des "champignons magiques", LSD, MDMA…), longtemps marginalisées voire diabolisées, font aujourd’hui leur entrée dans les hôpitaux français.
Pourquoi ce retour? Où en est la recherche? Que peut-on attendre pour demain, alors que la psychiatrie conventionnelle semble atteindre ses limites? Comment se protéger des dérives, tant médicales que commerciales?…
Présent à Nice le 26 juin prochain lors d’une conférence-débat sur sujet, Vincent Verroust, chercheur en épistémologie et jeudi fait le point sur ces thérapies utilisant des molécules psychoactives connues pour leurs effets hallucinogènes.
Où en est la recherche en France?
Nous assistons enfin à une mobilisation concrète. Deux essais cliniques sur la psilocybine, substance active des champignons hallucinogènes, sont actuellement menés dans l’Hexagone. L’un, désormais terminé au CHU de Nîmes, portait sur l’usage problématique d’alcool associé à des symptômes dépressifs. Le second vise la dépression résistante. Il se déroule notamment à l’hôpital Sainte-Anne à Paris.
Des moyens publics sont-ils engagés dans ces recherches?
Oui. Et c’est un signal fort. À l’hôpital Paul-Brousse, l’équipe du Pr Benyamina a reçu un financement de l’Agence Nationale de la Recherche pour une nouvelle étude sur la psilocybine. De même, l’Institut du Cerveau mène une recherche sur le LSD dans le cadre des troubles addictifs, d’abord chez la souris, avec l’objectif de passer à l’humain. La France n’est plus en marge.
Elle reste néanmoins très en retard par rapport à des pays voisins, comme la Suisse.
C’est vrai, mais même là-bas, la psilocybine n’est proposée qu’en dernier recours, dans un cadre compassionnel. Il faut déjà avoir échoué avec les traitements classiques. Ce qui interroge quand on sait qu’il s’agit d’une molécule découverte en 1958, bien connue, et surtout très bien tolérée.
Selon vous, devraient-elles être proposées plus tôt?
Une étude a montré que deux prises de psilocybine faisaient mieux qu’un traitement quotidien avec un antidépresseur couramment prescrit, et avec bien moins d’effets secondaires. Alors pourquoi attendre que les patients soient en échec thérapeutique?
Existe-t-il des contre-indications?
Oui, comme tout médicament. Mais lorsqu’elles sont respectées, les effets indésirables majeurs sont rarissimes. La tolérance est excellente, y compris chez les volontaires sains, comme cela a pu être observé lors des essais cliniques.
Ces thérapies ciblent aujourd’hui des troubles graves. Les indications pourraient-elles être élargies?
J’en suis convaincu. Les thérapies assistées par psychédéliques, bien encadrées, peuvent aussi aider les personnes en bonne santé à se libérer de schémas de pensée négatifs, à mieux se connaître, à explorer leur imagination. Des changements de comportement perçus comme bénéfiques ont ainsi été mesurés chez des volontaires sains, lors des essais cliniques.
Que sait-on de l’action de la psilocybine sur le système nerveux?
Elle favoriserait une forme de plasticité cérébrale. Cela permet notamment de sortir des schémas mentaux défavorables, comme ceux qui accompagnent la dépression ou les addictions. C’est un véritable "reset cognitif".
Fortement addict à l’alcool, Pierre (le prénom a été modifié) a tout tenté pour réduire sa consommation. "Pendant plus d’un an, j’ai participé aux réunions des Alcooliques Anonymes (AA), mais ça n’a pas été efficace. En réalité, je ne voulais pas être réduit à ça, être considéré comme un malade à vie. Mon objectif était de parvenir à boire sans perdre le contrôle."
Dans le même temps, il suit une psychanalyse, soucieux de traiter des souffrances profondes en lien avec des expériences de vie traumatiques.
En mai 2023, le quadragénaire, toujours en proie à ses troubles addictifs, choisit de se rendre en Belgique pour bénéficier d’une thérapie assistée par psychédélique. "Ça a eu un effet immédiat sur ma consommation."
Quelques mois plus tard, il réitère l’expérience. "J’ai eu le sentiment de revenir à la vie. Je suis aujourd’hui plus ouvert d’esprit… Je me sens plein de gratitude."
Depuis ces "voyages", Pierre ne s’est plus laissé aller à aucun excès. "Lorsque je fais une "sortie de route", ça se limite à un verre ou deux."
Il a aussi "pu lire et relire" enfin un courrier laissé par son père, avant de se donner la mort. Et comprendre son geste.
Nice Matin