Microbiote, polluants, expériences de vie... Comment se construit notre personnalité ?

Pourquoi certains enfants semblent-ils naturellement joyeux, alors que d’autres paraissent anxieux ou colériques dès la naissance? Comment se forgent l’extraversion, la créativité ou la conscience professionnelle? La science commence à décrypter les mécanismes complexes qui façonnent notre individualité. Dans son ouvrage "La biologie de la personnalité" (Odile Jacob), le Pr Bernard Sablonnière, médecin, biologiste et chercheur à l’Inserm, explore ces processus en expliquant que nos pensées, nos réactions et nos comportements reposent sur des bases matérielles que la biologie éclaire peu à peu.
Tempérament et caractère, les ciments de la personnalitéDès la naissance, chaque enfant manifeste un tempérament unique. Certains bébés sont calmes, d’autres plus agités ou anxieux. "Ce tempérament, façonné par nos gènes et les connexions nerveuses établies avant la naissance, constitue la part innée de notre personnalité et reste relativement stable au fil du temps: il est difficilement modifiable ou manipulable."
Mais la personnalité ne se résume pas à ce que nous héritons à la naissance. " Le caractère, quant à lui, se construit progressivement au fil des expériences, des relations, de l’éducation, des habitudes et de notre environnement. Par exemple, un enfant réservé de nature peut devenir plus ouvert et sociable s’il grandit dans un cadre encourageant et chaleureux, poursuit-il. Ainsi, tempérament et caractère s’associent pour forger la personnalité, soit un ensemble de traits psychologiques propres à une personne, et la distinguant des autres."
Le cerveau, chef d’orchestre de la personnalitéLe cerveau joue un rôle central dans la construction de notre personnalité. Deux mécanismes principaux sont à l’œuvre: l’organisation des réseaux de neurones et l’action des neurotransmetteurs, ces substances chimiques qui permettent aux neurones de communiquer entre eux. " L’équilibre complexe entre ces messagers chimiques (dopamine, sérotonine...) façonne les traits propres à chaque individu, selon sa sensibilité." Pour mieux comprendre cette diversité, les psychologues utilisent souvent le modèle des "Big Five" (lire encadré), qui regroupe la personnalité en cinq grands traits fondamentaux.
Une identité en constante évolutionSi le tempérament nous donne une base, la personnalité évolue grâce à la plasticité du cerveau, c’est-à-dire sa capacité à s’adapter et à se modifier. Ce processus est particulièrement intense pendant l’enfance et l’adolescence, périodes durant lesquelles le cerveau continue de se développer jusqu’à environ 25 ans. " Mais même à l’âge adulte, des événements importants, comme un deuil, une maladie ou un changement de vie, peuvent modifier certains aspects de notre caractère."
Microbiote et polluants: des influences inattenduesLe Pr Sablonnière souligne également l’importance du microbiote intestinal et des polluants environnementaux dans la formation de notre personnalité. Le microbiote, souvent appelé "deuxième cerveau", communique en permanence avec notre système nerveux, influençant ainsi notre humeur, notre niveau de stress et certains traits de caractère. " Une alimentation déséquilibrée ou un usage excessif d’antibiotiques peuvent perturber cet équilibre et fragiliser notre bien-être psychique."
De leur côté, les polluants tels que les pesticides, les métaux lourds ou les perturbateurs endocriniens peuvent interférer très tôt, dès la formation du cerveau chez le fœtus. Ils sont capables d’altérer le développement des réseaux de neurones et d’influencer le fonctionnement cérébral dès la naissance. " Des études récentes montrent que l’exposition à ces substances chimiques peut favoriser, chez l’enfant, des comportements marqués par une extraversion élevée, une grande énergie, mais aussi une difficulté à maintenir l’attention lors de tâches demandant de la concentration."
Le rôle délétère des réseaux sociaux dans la construction de soiÀ l’adolescence, période de grande malléabilité cérébrale, les influences extérieures sont déterminantes. " Les réseaux sociaux, en particulier, jouent un rôle majeur dans la construction de l’identité des jeunes. Ils offrent des espaces d’expression et de reconnaissance, mais exposent aussi à la comparaison, à la pression sociale et au cyberharcèlement."
Les "likes" et commentaires activent les circuits de la récompense, renforçant parfois certains traits comme l’extraversion ou le narcissisme. " Cette quête de validation peut aussi fragiliser l’estime de soi et accroître l’anxiété, surtout chez les adolescents dont la personnalité est encore en pleine formation."
La personnalité en action grâce à l’IRMParmi les avancées majeures des neurosciences, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révolutionné la compréhension de la personnalité. Cette technologie " offre une fenêtre inédite sur le cerveau vivant, et aide à comprendre comment se structurent les grands traits de la personnalité", explique le Pr Bernard Sablonnière. L’IRM fonctionnelle a permis d’identifier des réseaux spécifiques associés à l’extraversion, à l’ouverture à l’expérience ou à l’agréabilité. Chez les personnes à haut potentiel ou les "cerveaux de génies", l’IRM révèle une densité de connexions remarquable dans certaines zones du cerveau, notamment le cortex préfrontal.
Le "Big five"La psychologie distingue cinq grands traits de personnalité, appelés "Big Five", étroitement liés au fonctionnement de notre cerveau.
L’ouverture à l’expérience décrit les personnes curieuses, créatives et ouvertes à la nouveauté. Ce goût pour l’exploration est lié à la dopamine, un neurotransmetteur associé au désir.
La conscienciosité caractérise les individus organisés et fiables, grâce à des connexions spécifiques entre leur cortex préfrontal et d’autres zones cérébrales.
L’extraversion, également influencée par la dopamine, concerne les personnes sociables, enthousiastes et attirées par les interactions.
L’agréabilité reflète la gentillesse, l’empathie et la chaleur humaine, soutenues par l’activation de l’insula, une région impliquée dans les émotions sociales.
Enfin, le névrosisme, lié à des variations de la sérotonine, se traduit par une tendance à l’anxiété et à la tristesse.
Var-Matin