Plan pour la santé mentale : « Le gouvernement n’a pas de vision globale », estiment des acteurs du secteur

Par Marie Fiachetti et Hugo Bachelet
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Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, en visite à l’hôpital Foch, à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 10 avril 2025. SEBA/SIPA
Décryptage Le ministre de la Santé a dévoilé mercredi le plan gouvernemental pour la santé mentale, labellisée « grande cause nationale » en 2025. Chez les professionnels, le malaise plane : malgré des mesures pertinentes, ils continuent de déplorer l’absence de clarté sur les moyens.
A l’antenne de France-Inter, le ministre de la Santé Yannick Neuder était à la peine ce jeudi 12 juin pour défendre la cohérence du plan gouvernemental pour la santé mentale dévoilée la veille. Alors que la santé mentale a été érigée « grande cause nationale » de 2025 par Michel Barnier quand il était Premier ministre – un engagement repris par François Bayrou, son successeur à Matignon –, l’immobilisme de l’exécutif commençait à se voir comme le nez au milieu de la figure.
L’état psychique des Français, notamment des plus jeunes, est remis sur le tapis au moindre fait divers et l’état végétatif des pouvoirs publics est alors pointé du doigt. N’en jetez plus, le septième ministre de la Santé en trois ans a présenté son plan d’action : entre autres, davantage d’adultes formés en milieu scolaire, une offre de soins plus lisible et graduée et une meilleure formation des étudiants de santé – le tout en restant très flou sur les moyens financiers qui seront engagés. S’ils se disent prêts à accueillir ces avancées, les acteurs de la santé déplorent l’absence de dialogue.
« La santé mentale n’est plus à six mois près »Jean-Philippe Cavroy, délégué général de la fédération Santé mentale France, qui rassemble l’ensemble des acteurs du secteur, le reconnaît : la « grande cause nationale » a mis un peu de temps à se mettre en branle. Il estime que le contexte politique et les roulements d’équipes ministérielles n’ont pas aidé : « Finalement, tout a été décalé au deuxième trimestre. Mais la santé mentale n’est plus à six mois près… », concède-t-il auprès du « Nouvel Obs ». Il le sait : une « grande cause » en chassera inévitablement une autre. Alors, il faudra « persévérer pour soutenir cet élan ».
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Denis Leguay, président de Santé mentale France, reste toutefois optimiste : « Les choses avancent. » Il félicite, notamment, la labellisation de plusieurs organisations et la mise en place de groupes de travail. Toutefois, si la majorité des mesures annoncées mercredi sont pertinentes à ses yeux, il s’interroge sur leur faisabilité : « On nous donne le comment sans nous dire le pourquoi. Il n’y a pas de vision globale et lisible. »
Un coup de com ?L’absence de moyens prévus dans le plan interpelle les professionnels : « On sent quand même qu’il y a un malaise », souffle Jean-Philippe Cavroy. Florent Simon, secrétaire général du Syndicat national des Psychologues, se montre dubitatif auprès du « Nouvel Obs » : « Il n’y a, actuellement, pas de moyens, et c’est une cata. A moyens constants, cela le sera aussi. » De guerre lasse, il estime que la priorité mise par le gouvernement sur la santé mentale relève surtout du coup de com : « Cette santé mentale labellisée “grande cause nationale”, ce n’est ni plus ni moins que de la communication. » Florent Simon en veut pour preuve l’absence de vision à long terme.
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Le secrétaire général du Syndicat national des Psychologues ne jette pas la pierre au ministre Yannick Neuder, mais fustige une « situation actuelle qui n’est que la conséquence de vingt années de non politique de soins ». Selon lui, pas besoin de réinventer la poudre : il faut injecter de l’argent et créer des postes aux seins de structures qui existent déjà, en particulier les centres médico-psychologiques. Qui plus est, il préconise de se détourner de dispositifs peu efficaces, à l’instar de « Mon soutien psy », « boudé par 90 % des psys libéraux ». Santé mentale France appelle également à s’appuyer « sur ce qui a déjà fait ses preuves ». « On a plein d’innovations, de recherches, qui marchent, en France mais aussi à l’étranger !, regrette Denis Leguay. Mais peut-être est-ce un peu la culture française de fonctionner ainsi… »
« Sans partenariat avec le terrain, rien ne fonctionnera »Outre la mise à disposition de moyens, le nerf de la guerre, selon Florent Simon, c’est le dialogue avec les professionnels de santé. « Pour penser efficacement les politiques publiques de santé mentale, il faut se concerter avec ceux qui sont sur le terrain », martèle-t-il. Le 3 juin, le Syndicat national des Psychologues et quinze autres organisations – la moitié de psychiatres, l’autre de psychologues – ont adressé une lettre ouverte au président de la République. « Aucun d’entre nous n’a été reçu, souffle Florent Simon. Monsieur le ministre est à côté de la plaque. Sans partenariat avec le terrain, rien ne fonctionnera. »
Si Santé mentale France ne veut pas « jeter le bébé avec l’eau du bain », préférant voir dans ce plan un gage de bonne volonté du gouvernement, la fédération estime elle aussi que la méthodologie mérite d’être revue : « On se demande parfois si les choses ont été discutées en amont avec les acteurs qui devront les mettre en pratique sur le terrain – et les premières personnes concernées pour savoir si elles répondent à leurs besoins », explique Jean-Philippe Cavroy, citant le repérage précoce dans les établissements scolaires par des référents.
Au-delà des mesures du gouvernement, Denis Leguay se réjouit de la libération de la parole et de la mise en avant des problématiques de santé mentale. Et veut croire que ces évolutions laisseront des marques bien au-delà de 2025 : « S’il y a une vraie synergie qui s’installe, ce sera un véritable progrès civilisationnel. »
Par Marie Fiachetti et Hugo Bachelet
Le Nouvel Observateur