Vidéo. « Douloureux à chaque fois » : il s’est laissé mordre 200 fois par des serpents pour trouver un antivenin universel

De 2000 à 2018, il s’est laissé mordre par des serpents venimeux à plus de 200 reprises, et s’est injecté lui-même leur venin plus de 650 fois. Il s’est infligé ces expériences extrêmement douloureuses pour viser une immunité totale contre leurs morsures, espérant contribuer à mettre au point un meilleur antivenin. Cette pratique consistant à acquérir une immunité vis-à-vis des substances toxiques via une ingestion de doses croissantes, est appelée mithridatisme, en référence à Mithridate le Grand (113-63 avant JC). Selon la légende, ce roi grec, redoutant d’être empoisonné par ses ennemis, a ingurgité des quantités croissantes d’arsenic dans le but de s’y accoutumer.
AFP
L’ex-mécanicien de camions, sans diplôme universitaire, a longtemps lutté pour être pris au sérieux par les scientifiques. Au bout de 25 ans, des recherches basées sur ses expériences ont paru en mai dans la revue Cell. Elles montrent que les anticorps de son sang offrent une protection contre de nombreuses morsures de serpents, et leurs auteurs espèrent aujourd’hui que l’hyperimmunité acquise par Tim Friede permettra de mettre au point un antivenin universel. Les antivenins actuels ne fonctionnent que pour un ou quelques-uns des 600 serpents venimeux recensés.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les morsures de serpents tuent quelque 138 000 personnes par an et entraînent amputations ou d’autres handicaps pour 400 000 autres. Des chiffres sous-estimés, les victimes vivant généralement dans des régions pauvres et isolées. Sa première morsure à l’âge de cinq ans, par une inoffensive couleuvre, reste un souvenir vif. « J’ai eu peur, j’ai pleuré, je me suis enfui », raconte-t-il. Mais il a alors commencé à ramener des reptiles à la maison, cachés dans des bocaux de cornichons au grand désarroi de sa mère. Est née une fascination : il a appris, grâce à un cours, à en extraire leur venin.
La méthode de fabrication de l’antivenin n’a guère changé en 125 ans : des petites doses du venin tiré des serpents sont injectées à des chevaux ou des moutons, qui produisent alors des anticorps pouvant être utilisés comme antivenin. Mais celui-ci ne sera efficace que pour une espèce particulière et certains des anticorps pourront provoquer de graves effets secondaires, telles qu’un choc anaphylactique. C’est alors que Tim Friede a décidé de devenir son propre cobaye. Il s’est d’emblée offert aux spécimens les plus venimeux : cobras, taïpans, mambas noirs, serpents à sonnette. « C’est douloureux à chaque fois », confie-t-il.
Longtemps ignoré par les scientifiques, il a finalement été contacté en 2017 par l’immunologiste Jacob Glanville. À la recherche, pour ses travaux, d’un « chercheur sur les serpents maladroit qui aurait été mordu accidentellement à plusieurs reprises », Jacob Glanville raconte être tombé sur une vidéo des exploits à hauts risques de Tim Friede. « Vous allez trouver cela gênant, mais j’adorerais mettre la main sur un peu de votre sang », lui annonce l’immunologiste lors de leur premier échange.
L’antivenin objet des recherches de Jacob Glanville parues dans Cell, comporte deux anticorps provenant du sang de Tim Friede, ainsi qu’un médicament appelé varespladib qui inhibe les toxines. Il a fourni aux souris une protection totale contre 13 des 19 espèces de serpents testées, et partielle pour six autres. Tout en louant l’étude, Timothy Jackson, de l’Australian Venom Research Unit, s’interroge sur la nécessité d’impliquer un être humain, alors qu’il existe des anticorps synthétiques.
SudOuest