Un "messager cosmique": un mystérieux "neutrino de très haute énergie" venu d'en dehors de notre galaxie détecté

Une galaxie lointaine, très lointaine. Le CNRS parle d'un "séisme" et d'une "nouvelle fenêtre sur l'Univers". Un neutrino (une particule très présente dans l'Univers, NDLR) à l'énergie trente fois plus élevée que tous ceux jamais enregistrés sur Terre a été détecté au fond de la Méditerranée, apprend-on dans une étude publiée ce mercredi 12 février dans la revue Nature.
Il s'agit de la plus énergétique des particules élémentaires. Et elle devrait aider à une avancée significative dans la compréhension des phénomènes extrêmes de l'Univers.
Cette découverte "bouscule les modèles astrophysiques actuels", écrit ainsi le CNRS dans un communiqué.
Si l'origine de cette particule inouïe n'a pas encore été identifiée, les scientifiques sont certains qu'elle ne vient pas de notre galaxie.
Particule élémentaire abondante dans l'Univers mais insaisissable, le neutrino n'a pas, comme son nom l'indique de charge électrique, et presque pas de masse: cette dernière est d'un million de fois plus faible que celle d’un électron. Il s'agit d'ailleurs de la plus légère des particules massives connues. En outre, il n'interagit que faiblement avec la matière.
Les neutrinos intéressent particulièrement les scientifiques, car ce sont des "messagers cosmiques spéciaux", explique Rosa Coniglione, chercheuse à l'Institut italien de physique nucléaire, dans un communiqué accompagnant la publication de l'étude.
Les événements les plus violents de l'Univers -comme l'explosion d'une supernova, la fusion de deux étoiles à neutrons ou l'activité autour des trous noirs supermassifs- génèrent des neutrinos dits à "ultra-haute énergie".
Comme ces particules interagissent peu avec la matière, elles peuvent s'échapper des zones denses et chahutées qui les ont produites, puis voyager en ligne droite à travers l'Univers. Et ainsi fournir des informations précieuses, inaccessibles par des méthodes plus classiques, sur les phénomènes astrophysiques à leur origine.
"Pour illustration, si on voulait stopper la moitié des neutrinos venant vers nous, il faudrait construire un mur de plomb d'une épaisseur de neuf mille milliards de kilomètres", explique Sonia El Hedri astrophysicienne au CNRS dans une vidéo.
Ces particules "fantômes" sont cependant extrêmement difficiles à détecter. 60 milliards de neutrinos traversent chaque centimètre carré de la Terre par seconde sans laisser la moindre trace, précise le CNRS.
Pour espérer en attraper quelques-uns au vol, il faut un énorme volume d'eau - au moins un kilomètre cube, l'équivalent de 400.000 piscines olympiques. C'est pourquoi la Méditerranée accueille le Télescope Neutrino du Kilomètre Cubique (KM3NeT).
Encore en construction, il est réparti sur deux sites: ARCA, dédié à l'astronomie des hautes énergies, à 3.450 mètres de profondeur au large de la Sicile (Italie) et ORCA, optimisé pour étudier les propriétés fondamentales du neutrino, à 2.450 mètres de profondeur au large de Toulon (France).
Des câbles de plusieurs centaines de mètres de long et équipés de photomultiplicateurs capables d'amplifier de très petites quantités de lumière sont ancrés au fond de la mer à distance régulière.
"L'intérêt de l'eau, c'est que quand le neutrino interagit en général dans la matière, il produit des particules chargées électriquement. Et si ces particules vont suffisamment vite dans un milieu, elles peuvent entraîner l'émission de lumière", explique Sonia El Hedri. On appelle cela l'effet de Tcherenkov.
"L'eau du fait de sa transparence est un milieu qui est particulièrement privilégié pour détecter cet effet", poursuit l'astrophysicienne.
Le 13 février 2023, un muon, un électron lourd produit par un neutrino, "a traversé tout le détecteur ARCA, induisant des signaux dans plus d'un tiers des capteurs actifs", indique le KM3NeT, collaboration réunissant 350 scientifiques de 21 pays.
Le neutrino à son origine avait une énergie de 220 pétaélectronvolts (PeV), soit 200 millions de milliards d'électronvolts. Un chiffre colossal, jamais observé sur Terre.

"C'est à peu près l'énergie d'une balle de ping-pong tombant d'un mètre de hauteur", mais contenue "dans une seule particule élémentaire", a expliqué Aart Heijboer, professeur à l'Institut néerlandais de physique subatomique (Nikhef) et membre du KM3NeT lors d'une conférence de presse.
Sauf qu'une balle de ping-pong est constituée de milliers de milliards de molécules, alors qu'il s'agit là d'une seule particule élémentaire qui transporte la même quantité d'énergie.
Produire une telle particule nécessiterait un accélérateur "tout autour de la Terre à la distance des satellites géostationnaires", a ajouté Paschal Coyle, directeur de recherche CNRS au Centre de physique des particules de Marseille.
"Trou noir tapi au cœur d'une galaxie? Sursaut gamma? Supernova?", sa provenance interroge le CNRS ce mercredi.
Avec un tel niveau d'énergie, l'origine du neutrino ne peut être que cosmique. La distance de l'événement qui l'a produit "est inconnue", mais "ce dont nous sommes assez sûrs, c'est qu'il ne vient pas de notre galaxie", a souligné Damien Dornic, chercheur au CPPM.
Les astrophysiciens ont identifié douze blazars, des sources extrêmes de rayonnement qui accélèrent sans relâche des particules alimentées par des trous noirs massifs, potentiellement compatibles.
Il pourrait aussi s'agir de la première détection d'un neutrino "cosmogénique", issu d'"une interaction de rayons cosmiques ultra-énergétiques avec les photons du fond cosmique intergalactique", a expliqué Rosa Coniglione.
Ce qui pourrait aider à comprendre "la composition de ces rayons cosmiques" et "l'évolution de l'Univers".
"À l'époque où cet événement s'est produit, notre système d'alerte aux neutrinos était encore en développement", a noté Aart Heijboer. D'ici la fin de l'année, lors d'une nouvelle détection, une alerte sera envoyée en quelques secondes "à tous les télescopes du monde entier afin qu'ils puissent pointer dans cette direction" du ciel et chercher une source.
BFM TV