« In Perpetuo » : le réalisateur parle des trabucchi du Gargano et de la mémoire du temps

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« In Perpetuo » : le réalisateur parle des trabucchi du Gargano et de la mémoire du temps

« In Perpetuo » : le réalisateur parle des trabucchi du Gargano et de la mémoire du temps

« Que reste-t-il du savoir ancien lorsqu'il risque de disparaître ? » est la question qui a donné forme à In Perpetuo , le documentaire réalisé par Federico Barassi , apprécié en novembre dernier au Festival dei Popoli et projeté le 6 juin au Cinéma Farnèse de Rome, le 10 juin à Turin et le 16 juin à Bari. Il s'agit d'un voyage poétique et profond parmi les trabucchi du Gargano , ces machines de pêche centenaires suspendues entre mer et ciel, mémoire et matière.

Les origines des trabucchi

Selon certaines sources historiques, cette extraordinaire machine de pêche aurait été introduite au Gargano par les Phéniciens, bien que la première mention écrite remonte au XVIIIe siècle. À cette époque, les pêcheurs de la région étaient contraints de trouver une méthode de pêche stable et fiable, capable de résister au temps et aux intempéries.

C'est ainsi que naquirent les trabucchi : d'ingénieuses architectures entièrement en bois – pin d'Alep, chêne, cervidé, châtaignier – construites face à la mer et solidement ancrées aux rochers côtiers. Chaque élément est sculpté et fixé avec une précision extrême, dans une symbiose millénaire entre nature et technique. Telles des maisons sur pilotis suspendues entre ciel et eau, les perches s'insèrent dans des cavités creusées dans la roche, supportant une plateforme sur laquelle se déroule toute l'activité de pêche.

Entretien avec le réalisateur Federico Barassi

Dans cet entretien, le jeune réalisateur du documentaire In Perpetuo nous raconte la genèse du projet, le lien personnel qui l'a guidé et la relation intense nouée avec les « gardiens du temps » : les trabucchisti. Une histoire qui est aussi une réflexion sur le temps qui passe, sur les racines qui résistent et sur l'urgence de s'arrêter pour écouter ce que la nature et la tradition ont encore à nous dire.

D'où est venue l'idée de raconter l'histoire des trabucchi du Gargano ? Un moment précis vous a-t-il poussé à vous lancer dans ce projet ?

L'idée d' In Perpetuo est née vers 2017, lorsque j'ai commencé des recherches sur des métiers traditionnels et anciens, inextricablement liés à des éléments naturels menacés de disparition. Le premier scénario réunissait plusieurs métiers dans un seul long métrage, et parmi ces métiers anciens, il y avait aussi la réalité des trabucchi du Gargano. La même année, mon père Paolo est décédé et la recherche s'est naturellement concentrée sur les trabucchi qui me rappelaient quelque peu lui car ils reflétaient ses deux plus grandes passions : le travail du bois et la pêche . Plus tard, en approfondissant mes recherches, j'ai réalisé qu'en me concentrant uniquement sur la réalité des trabucchi du Gargano, je pouvais renforcer le message que j'avais initialement en tête, à savoir : ce qui reste d'une expérience – en l'occurrence des siècles – lorsqu'elle disparaît, quelles traces subsistent dans la mémoire et dans la société.

Le Gargano est souvent raconté sous un angle touristique. Dans Perpetuo , au contraire, il révèle une facette intime, presque cachée. Était-ce votre intention dès le départ ?

Oui, c'est précisément pour cette raison que j'ai choisi de photographier en hiver, en automne et au printemps. À ces saisons, le tourisme est rare et la vie s'écoule plus lentement. Mon intention, dès le départ, était de capturer en images, dans des images du quotidien, ce lien fort qui, depuis la nuit des temps, unit l'homme à la nature et que nous perdons peu à peu aujourd'hui.

Comment avez-vous sélectionné des lieux spécifiques du Gargano, comme Vieste et Peschici, pour le film ? Y avait-il des lieux emblématiques incontournables ?

Vieste et Peschici sont les endroits où l'on peut encore observer ces machines complexes en fonctionnement et retrouver les derniers gardiens de cette tradition. C'est sur cette petite portion de côte que se concentrent la majorité des trabucchis de pêche et des trabucchis non abandonnés du Gargano . Le choix a donc été dicté par la nécessité de voir les trabucchis en action et les trabucchisti pratiquant la pêche comme on le faisait il y a des siècles.

Combien de temps avez-vous passé sur le terrain, entre Peschici et Vieste, et quelle était la relation avec les protagonistes du documentaire ?

Le tournage a débuté en 2022 et nous avons réalisé deux semaines de tournage en alternance, plus les repérages. La relation avec eux a été très enrichissante. Pour réaliser ce type de documentaire, il est primordial d'avoir la confiance des protagonistes que l'on souhaite filmer. J'ai donc essayé de passer le plus de temps possible avec eux, à discuter, à pêcher, à manger du poisson. J'ai essayé de m'identifier à leur quotidien afin de redonner au spectateur la possibilité de comprendre et de percevoir la vie sur le Trabucco de la manière la plus réelle et authentique possible.

La lumière, le vent, le bruit de la mer… dans le documentaire, tout concourt à évoquer l'âme du lieu. Quel rôle Gargano a-t-il joué dans votre direction visuelle et sonore ?

Le Gargano est un territoire ancien, presque mystique. On y trouve des traces de populations primitives, datant de l'âge du bronze et de l'époque romaine. On y trouve une extraordinaire stratification des époques, et on s'en rend compte lorsqu'on y est. J'ai cherché à évoquer ce passé lointain. La bande sonore, minimaliste dans le documentaire, se veut presque comme une voix ancestrale qui résonne à l'horizon marin et nous interpelle, nous rappelant qui nous étions, qui nous sommes et qui nous serons. Dès le départ, j'ai choisi de limiter le tournage aux seules zones des trabucchi, car je voulais que cette machine devienne le théâtre de tout, ainsi que le pivot de la narration. J'ai choisi de toujours positionner la caméra sur trépied, en plans fixes, pour évoquer la solidité du trabucco qui résiste aux caprices de la nature, ancré à ces rochers depuis des siècles.

Le trabucco est un personnage silencieux mais central de votre documentaire. Qu'est-ce qui vous a le plus fasciné dans son histoire et sa signification ?

Je voulais que le trabucco devienne un personnage, peut-être le personnage principal d' In Perpetuo, presque un organisme vivant, nécessitant donc des soins. Tout tourne autour de cette machine qui, dans le documentaire, avec les éléments qui la composent, est le seul artefact humain visible. Je l'ai alors immédiatement perçue comme une œuvre d'art et les trabucchisti comme les artistes qui la créent. Ce qui m'a le plus fasciné, c'est la façon dont les habitants de Vieste et de Peschici perçoivent le trabucco. Depuis leur enfance, ils l'ont toujours vu là, perpendiculaire à la mer, ancré à ces rochers. D'ailleurs, les habitants de ces régions disent qu'on ne peut pas dire qu'on est à Vieste ou à Peschici sans apercevoir un trabucco au loin. C'est un symbole qui les rassure et leur permet de se sentir chez eux.

Dans le film, le trabucco apparaît clairement comme un symbole du savoir ancien. A-t-il été difficile de reconstituer ses origines et son rôle dans la culture du Gargano ?

Les trabucchisti, qui transmettent leur savoir de génération en génération et vivent le trabucco pour toujours, l'ont en eux, au plus profond d'eux-mêmes. Il n'a pas été difficile d'en reconstituer les origines, car ils m'ont guidé en m'immergeant dans leur univers et leurs histoires. Je suis devenu témoin de ce qui se déroulait sous mes yeux, me mettant à la place de l'élève qui cherche à apprendre du maître.

Au cours du tournage, avez-vous découvert des détails inattendus ou des anecdotes sur l’histoire des trabucchi qui vous ont particulièrement marqué ?

Ce qui m'a le plus frappé, c'est la sagesse et la difficulté de la construction. Par exemple, la façon dont ils ont utilisé une perche en fer pour creuser des trous dans la roche dure afin de fixer les rondins de soutien, et la façon dont ils ont déterminé l'emplacement de ces trous. Un travail acharné et un calcul impressionnant. J'ai été frappé par les récits de prises abondantes, des quintaux de poissons qui se raréfient aujourd'hui en raison de la pêche industrielle, de la pollution et de la présence d'espèces exotiques comme le crabe bleu, qui rendent la pêche au trabucco de plus en plus difficile.

Dans votre récit, le trabucco semble vivre, respirer avec ceux qui l'habitent. Vous avez choisi de lui donner une voix narrative presque implicite. Était-ce un choix conscient ?

Le trabucco d' In Perpetuo est un personnage du récit. Sa voix est constituée des sons qu'il émet : le craquement du bois, les vibrations des câbles de fer tendus qui produisent un son presque musical et le bruit des cordes qui soulèvent le grand filet. J'ai essayé de lui donner vie et de le faire respirer avec les protagonistes.

Dans le documentaire, il existe un lien profond entre l'homme, la nature et le temps. Comment avez-vous réussi à traduire visuellement cette dimension poétique et presque suspendue ?

Certes, enregistrer les sons de la nature à l'aide de microphones stéréo a permis d'amplifier la sensation d'immersion dans les éléments naturels, puis de travailler le montage au fil du temps, en dilatant et en soustrayant.

Vous avez évoqué le risque de perte de mémoire lié à cet artisanat ancestral. Selon vous, que peut apprendre le public aujourd'hui des maîtres trabucchisti ?

Je pense que notre passé peut nous apprendre beaucoup sur notre présent. Notre société est une stratification d'héritages qui accumulent des connaissances pour les faire évoluer. En ce sens, les trabucchisti peuvent aider le spectateur contemporain, habitué aux rythmes frénétiques et à l'information fragmentée, à s'arrêter et à réfléchir à une vie simple et concrète, faite d'attente et de contemplation. Je pense que nous en avons de plus en plus besoin aujourd'hui, surtout.

Quelle a été la réaction des trabucchisti après avoir vu le film ? Vous ont-ils fait part de commentaires particuliers qui vous ont marqué ?

Ils étaient contents, ils m'ont dit que j'avais réussi à capturer l'authenticité de la vie sur le trabucco.

Le film a été sélectionné par des festivals prestigieux, tels que CinemAmbiente de Turin et le Festival dei Popoli, et sera projeté à partir du 6 juin dans différentes régions d'Italie. Que représentent ces prix pour vous et qu'attendez-vous de ce film pour l'avenir ?

Je suis ravi de ces sélections. C'était la première fois que je présentais mon travail dans un festival de cinéma et je dois dire que ce fut une expérience formidable. J'espère que le long voyage d' In Perpetuo se poursuivra sur la bonne voie.

siviaggia

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