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Avant d'écrire la première version du scénario de Timecrimes , mais avec une ébauche plus ou moins complète, je savais déjà quel serait mon truc préféré dans tout le film, s'il se réalisait un jour. Il faut très peu de temps pour que l'histoire oppose le protagoniste à un méchant masqué. Puisque nous savons qu'il s'agit d'une histoire de voyage dans le temps, le soupçon est évident : il s'agit du même personnage, confronté à lui-même suite à un voyage imprudent dans le passé. Et c'est pourquoi l'un d'eux doit se couvrir de bandages, afin que ni son adversaire ni le public ne découvrent que le même visage se cache en dessous. Bref, il me faudrait passer tout le film à détourner l'attention du public comme je le pouvais. Mais il y avait un autre truc ! Le frisson de plaisir pervers venait de savoir que le spectateur sentirait que ce mystère planant entre deux personnages serait le nœud du problème. Le frisson de plaisir pervers venait de savoir que trente minutes plus tard , bang ! Le masque tomberait et nous découvririons que, sous nos yeux, se cache bel et bien le bien-aimé Karra Elejalde lui-même. Autrement dit, le mystère se dévoile bien plus tôt que prévu, et le spectateur est désorienté, sans aucune idée de ce qui va se passer pendant l'heure restante. C'est sans doute ma sensation préférée au cinéma .
Eh bien, depuis vingt ans, je n'arrête pas de lire et d'entendre que le film, avec ou sans ses qualités, est coupable d'être prévisible, car on voit clairement qui se cache sous les bandeaux ! D'une manière que je ne peux pas vraiment expliquer, pour beaucoup de spectateurs et de critiques, la révélation de ce mystère mystérieux vampirise le souvenir du film , comme s'il s'agissait de la scène finale.
On nous prévient d'avance que pour survivre en tant que cinéastes, il faut savoir gérer le rejet et l'indifférence des autres . Avec Timecrimes, j'ai vécu beaucoup des deux, et chaque année qui passe, il m'est plus facile de comprendre que les goûts (du spectateur, du moment, du lieu) sont ce qu'ils sont, et qu'il est beau de s'y adapter autant que de les remettre en question. Ce que je n'arrive pas à résoudre, c'est la frustration liée aux courts-circuits et aux trous de mémoire que, en tant que cinéaste, je provoque ou subis. C'est une question très désagréable, car les deux réponses possibles sont tout aussi néfastes. Et l'âge joue contre vous, car on ne veut pas vieillir en se croyant plus intelligent que les autres, mais on ne veut pas non plus être paralysé par la peur du déficit d'attention ambiant.
Et pourquoi je vous raconte ça ? Parce que je sors un nouveau film ! Il s'agit de Daniela Forever et Superstar , un film et une série, tous deux des films de genre – blablabla ! – et comme ma modestie m'empêche d'utiliser cette chronique pour les vanter, j'ai décidé de faire exactement le contraire de ce qu'on attend d'un réalisateur en phase de promotion : écrire une confession vulnérable, victimaire et antipathique.
elmundo